Marie Mercier, Sénatrice de Saône-et-Loire et rapporteure de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles adoptée au Sénat, revient sur ce texte, « dont le but ultime est de protéger nos enfants le plus largement possible. »
Quelle est la Genèse de cette proposition de loi?
Ce texte est la traduction législative des travaux d’un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs, mis en place par la commission des lois en octobre 2017, dont le rapport a été rendu public en février 2018.
Un groupe constitué dans un contexte marqué par deux affaires ayant eu un fort retentissement dans les médias et la société concernant une requalification en atteinte sexuelle d’un viol sur mineur.
Le groupe de travail s’est mobilisé pendant 4 mois. Nous avons auditionné près de 130 personnalités, issues d’horizons divers : enquêteurs (policiers, gendarmes), magistrats, associations de victimes, médecins, professionnels de l’enseignement, psychologues, éducateurs sportifs. Nous avons aussi fait plusieurs déplacements, dans des unités médico-judiciaires, dans des pôles pédiatriques ou dans une brigade de mineurs par exemple. Un espace participatif a été ouvert sur le site Internet du Sénat qui a recueilli plus de 400 contributions. Mon expérience personnelle de médecin m’a aussi servie pour aborder cette question.
Ce groupe de travail a préconisé la mise en œuvre d’une stratégie globale qui inclut des ajustements législatifs en matière pénale, mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société, au service d’une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles. Pouvez-vous la détailler ?
Seule une approche globale permettra de prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles et de protéger les mineurs des infractions sexuelles de façon concrète.
Nous avons constaté que l’arsenal législatif est quasiment complet, mais méconnu et souvent mal adapté, conduisant à des situations comme la non dénonciation. Il faut améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles et favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes le plut tôt possible.
La prévention est évidemment un axe prioritaire. Il est urgent de sensibiliser tous les enfants et tous les parents à l’interdit des violences sexuelles, qui sont souvent intrafamiliales.
Dès l’école primaire, les enfants doivent recevoir une éducation à la sexualité et au fait que certains gestes ne doivent pas être commis. Il faut pouvoir mettre des mots sur les choses, il faut pouvoir expliquer les comportements, il faut pouvoir dire : « Non, ça ne se fait pas. » Sur ce sujet, il faut laisser les associations rentrer à l’école.
Les parents doivent être soutenus dans leur parentalité. Il faut les alerter des conséquences désastreuses d’un accès précoce des enfants à la pornographie et des dangers auxquels les jeunes internautes s’exposent (pédophilie etc).
La formation des professionnels, des enquêteurs, doit aussi être améliorée et l’Etat doit garantir les moyens d’assurer sur tout le territoire l’obligation légale d’éducation à la sexualité.
Une société bien organisée doit savoir poser des interdits. On n’ose pas nommer les choses, or, c’est très important de mettre des mots sur ces problèmes qui traversent massivement la société et font énormément de victimes.
Nous avons aussi fait des recommandations pour améliorer la répression pénale. Une justice efficace nécessite de renforcer les moyens et les effectifs tant de la police judiciaire et scientifique que des juridictions, pour réduire les délais d’enquête et de jugement.
Les moyens consacrés aux frais de justice et à l’aide aux victimes doivent également être renforcés, afin de permettre l’accompagnement de chaque victime par une association dès le dépôt de plainte.
Enfin, il faut disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal, car il ne fait pas tout dans le processus de guérison et de résilience. Les victimes doivent être accompagnées, même en dehors de toute procédure judiciaire. Des parcours de reconstruction doivent leur être proposés.
Le texte instaure la présomption de contrainte. De quoi s’agit-il ?
La grande avancée du texte est en effet, en cas de viol, l’instauration de la présomption de contrainte applicable entre un majeur et un mineur, fondée sur l’incapacité de discernement du mineur ou la différence d’âge entre le mineur et l’auteur. C’est extrêmement novateur.
Cette modification n’a pas pour effet de changer l’interdit pénal, qui est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur. L’article 227–25 du code pénal prévoit déjà que toute relation sexuelle avec un enfant de quinze ans est interdite, au risque de poursuites pénales. C’est donc déjà inscrit dans la loi.
La présomption de contrainte facilite la qualification criminelle de viol, en permettant de mobiliser plus facilement l’élément de contrainte, élément constitutif de l’infraction de viol. La charge de la preuve serait ainsi inversée et reposerait désormais sur l’adulte mis en cause, puisque la contrainte morale et, donc, la qualification criminelle de viol seraient présumées.
C’est un mécanisme qui protège tous les mineurs et qui n’oublie pas les 15-18 ans, contrairement aux effets de seuil qui peuvent jouer avec une limite d’âge, tel que proposé dans le projet de loi du gouvernement.
Le discernement n’a pas d’âge. L’âge du premier rapport sexuel en métropole est de 17 ans, quand il est de 11 ans en outre-mer. Cette présomption de contrainte protège tous les mineurs. Il faut rappeler sans cesse que le consentement ne vaut que s’il est absolu.
Vous avez aussi allongé le délai de prescription de 20 à 30 ans en matière de viol et d’agression sexuelle. Pourquoi ?
D’abord, le plus important, c’est de libérer la parole le plut tôt possible. Mais l’allongement du délai de prescription permet de prendre en compte des situations dans lesquelles de nombreuses victimes souffrent de syndrome post-traumatique. Il s’agit d’un mécanisme de défense, qui ne peut pas être prouvé scientifiquement mais qui existe bel et bien. Parfois, les mineurs ayant été victimes de violences sexuelles ont refoulé le souvenir de l’agression tant il leur était douloureux d’assumer son existence, au point d’être entrées dans un processus de déni. C’est un syndrome, semblable à celui dont peuvent souffrir des militaires en cas de guerre. C’est tout l’objet de la mission lancée en janvier 2017, pilotée par Flavie Flament et l’ancien magistrat Jacques Calmettes. Une victime peut, à 40 ans, restaurer une mémoire et des souvenirs refoulés pendant plus de vingt ans. La naissance du premier enfant chez la femme peut être un élément déclencheur et favoriser le retour des souvenirs. L’allongement du délai de prescription permet donc de s’adapter aux évolutions sociétales. Les françaises ont en moyenne leur premier enfant à 32 ans, cela retarde d’autant plus le moment où le traumatisme refoulé peut resurgir.
Quelle est la différence entre votre proposition de loi et le projet de loi du gouvernement qui va bientôt arriver devant le parlement ?
Sur la question de l’allongement du délai de prescription à trente ans après la majorité, il y a consensus.
Par contre, le projet de loi de Mme Marlène Schiappa fixe une limite d’âge sous laquelle un enfant est jugé trop immature pour consentir de façon éclairée à une relation sexuelle avec un adulte. Le gouvernement souhaite établir ce seuil à 15 ans.
Comme je l’ai expliqué, il n’y a pas d’âge dans notre proposition. Cela traduit la volonté de protéger tous les mineurs. Nous pensons que le discernement n’a pas d’âge. Toute autre proposition pourrait paraître plus simple, plus médiatique, plus porteuse ; en réalité, elle ne serait que simpliste.
Notre but ultime est de protéger nos enfants jusqu’à 18 ans et de faire un peu de lumière avec du noir.