Commission d’enquête Covid-19 : les sénateurs rendent leurs conclusions

Constituée le jeudi 2 juillet 2020, la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion de la crise sanitaire a dévoilé les conclusions de son rapport,  après plusieurs mois d’investigations.  47 auditions ont été organisées et 133 personnes ont été entendues.

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L’ambition et la mission de la commission d’enquête ne sont pas de réécrire l’histoire ou d’en avoir une lecture anachronique en passant les événements à la lumière des connaissances d’aujourd’hui. Il s’agit d’établir des faits de manière dépassionnée, de retracer le chaînage des responsabilités, d’identifier les causes des dysfonctionnements et de proposer pour l’avenir des améliorations.

Dans la réponse à la crise, les rapporteurs font le triple constat
d’un défaut de préparation, d’un défaut de stratégie ou plutôt de
constance dans la stratégie et d’un défaut de communication
adaptée.


Ils appellent à un nouveau départ, une « année zéro » de la santé
publique, qui suppose autant une réforme des structures que de la
façon dont elles sont mobilisées, articulées et confrontées à la
démocratie sanitaire.

La France n’était pas prête. Aucun pays européen d’ailleurs ne l’était vraiment. Cependant, la triste saga des masques restera le symbole d’une impréparation lourde de conséquences dans la lutte initiale contre l’épidémie, alimentant le désarroi voire la colère des soignants. Les pays qui ont le mieux répondu à la crise sont ceux qui ont conservé dans leur mémoire collective récente les marques de l’épreuve d’un événement comparable.

En l’absence de traitements ou de vaccin et devant beaucoup d’incertitudes, la réponse des autorités sous la forme du triptyque « tester, tracer, isoler« , appliquée avec une certaine efficacité au tout début de la crise a connu ensuite des fluctuations et des difficultés de mise en œuvre qui ont considérablement altéré ses effets.

Le rapport revient en détail sur a pénurie des masques et autres équipements de protection individuelle qui a alimenté le débat public jusqu’en mai et porté un lourd préjudice, dès le départ de la flambée épidémique.

Il analyse aussi les choix stratégiques depuis 2010 ayant conduit à assécher les stocks de masques.

« De 2011 à 2016, le stock stratégique de masques FFP2 est passé de 700 millions d’unités à 700 000, soit une diminution de 99,9 %.

La justification de cet assèchement du stock s’appuie sur un avis du Haut Conseil de la santé publique de 2011 et sur une doctrine élaborée en 2013 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Or, les interprétations qui en ont été faites sont contestables : aucun de ces deux documents ne suggère l’abandon d’un tel stock.

L’avis de 2011 préconise certes un champ plus restreint d’usage par les professionnels de santé mais recommande explicitement que le stock d’État
continue d’être composé de masques chirurgicaux et FFP2. »

Le rapport revient aussi sur le choix incompréhensible de ne pas
remplacer 600 millions de masques déclarés non-conformes en 2018 ayant conduit à la disparition du stock de masques chirurgicaux.

Alors qu’il s’établissait à 754 millions d’unités fin 2017, le stock stratégique de masques chirurgicaux n’en contenait plus que 100 millions fin 2019.

L’édiction en 2014 d’une norme de qualité des masques a conduit à ce qu’environ 610 millions d’entre eux ont été jugés non-conformes.

Le directeur général de la santé a toutefois ordonné l’achat de seulement 50 millions de masques (50 millions supplémentaires si le budget le
permettait), soit moins que la quantité nécessaire ne serait-ce que pour renouveler ceux arrivant à péremption fin 2019.

La ministre de la santé n’a pas été informée de ce choix de ne conserver désormais qu’un si faible stock, qui emportait pourtant des conséquences importantes.

Afin de pallier la pénurie, l’État s’est procuré des masques par deux canaux : la réquisition, à l’efficacité très faible et des commandes passées majoritairement à l’international.

Au 15 juin, 3,9 milliards de masques ont été commandés (dont 2,7 milliards en Chine), pour un coût total de 2,8 milliards d’euros. La livraison de ces commandes a parfois été retardée du fait de changements de la règlementation chinoise, de contrôles de qualité négatifs, de retards de
production ou encore de surenchère de la part d’autres acheteurs.

L’absence d’anticipation de l’État l’a en outre conduit à payer ces masques à un tarif exorbitant en comparaison des prix pratiqués « en temps de paix ».

L’épisode de la gestion chaotique des stocks d’État de masques a
mis en lumière l’absence de marge de manœuvre de Santé
publique France dans la stratégie de préparation aux urgences
sanitaires, domaine dans lequel elle a souvent été reléguée par
l’État au rôle de pur exécutant.

extrait du rapport

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE


Sécuriser la gestion des stocks stratégiques

  1. Prévoir la constitution au plus près des besoins de stocks « de crise » de masques chirurgicaux et FFP2 et se doter des moyens de contrôler et d’en suivre le niveau :
  • définir, entre chaque ARS et les établissements de santé et médico-sociaux, en fonction des caractéristiques de leur activité, le stock que ces derniers doivent détenir et en établir un recensement régulier et précis ;
  • intégrer la constitution de stocks de masques chirurgicaux et le contrôle de leur qualité par les professionnels de santé libéraux parmi les critères de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) ;
  • encourager l’acquisition par chaque ménage d’une boîte de 50 masques chirurgicaux pris en charge par l’Assurance maladie

2. Soumettre chaque programmation pluriannuelle des stocks stratégiques à la validation du ministre chargé de la santé

Garantir la continuité des soins en temps de crise

Pour éviter les déprogrammations, structurer des filières de prise en charge à l’échelle régionale ou inter-régionale afin de garantir la continuité des soins notamment dans des pathologies lourdes

Sécuriser la prise en charge des personnes vulnérables

  1. Renforcer les outils de gestion des risques en établissements médico-sociaux :
  • rappeler que le plan bleu a bien vocation à les préparer à toute situation sanitaire exceptionnelle, non aux seules canicules ;
  • systématiser l’élaboration des plans de continuité d’activité et intégrer plus systématiquement les EHPAD ainsi que les autres ESMS aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques

2. Augmenter la couverture des Ehpad en médecin coordonnateur et donner à celui-ci un rôle plus affirmé de chef d’orchestre des prises en charge externes

Garantir l’adéquation des capacités de la politique de dépistage aux besoins de la crise

Se mettre en capacité d’activer, en phase épidémique, des plateformes territoriales de tests associant l’ensemble des acteurs (laboratoires de biologie publics et privés, laboratoires de recherche ou vétérinaires), en mutualisant les capacités d’analyse à l’échelon régional

Renforcer la coordination en matière de recherche scientifique

En période de crise, flécher les financements exceptionnels alloués à la recherche sur de grands essais prioritaires et multicentriques afin de mieux coordonner les travaux de recherche

Renforcer la cohérence de l’expertise scientifique et l’ouvrir sur la société

  • Impliquer les associations de patients ainsi que les instances de démocratie sanitaire, au niveau national comme territorial ainsi que dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dans les décisions impactant l’organisation des soins en période de crise ainsi que dans l’élaboration des retours d’expériences sur la gestion de l’épidémie.
  • Créer une instance nationale d’expertise scientifique unique sur la sécurité sanitaire chargée de conseiller les pouvoirs publics dans la gestion de l’ensemble des crises ayant un impact sur la santé et de mobiliser et coordonner les sources d’expertise existantes, en garantissant l’indépendance et la transparence de ses travaux


Renforcer le pilotage interministériel dans la préparation et la réponse aux urgences sanitaires

  • Créer une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre et chargé de coordonner une réflexion et une vigilance interministérielles permanentes sur l’état de préparation du pays aux crises sanitaires et
    d’en rendre compte tous les ans au Parlement
  • Élaborer, sous la responsabilité du Diprus, un plan de mobilisation face à un risque pandémique et comprenant un schéma de gouvernance de crise, une boîte à outils de mesures sanitaires et non sanitaires et un volet capacitaire et logistique

Définir les contours d’une gouvernance territoriale au plus près des réalités du terrain

Garantir un pouvoir de décision réel aux collectivités territoriales, en particulier au conseil régional, dans la détermination de l’offre de soins régionale