« Justice du 21ème siècle » : un texte plutôt pragmatique

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Mercredi 28 septembre, le Sénat a adopté en nouvelle lecture et avec modifications le projet de loi « de modernisation de la justice du 21ème siècle », suivi par l’Assemblée nationale le 12 octobre.

Ce projet de loi, au titre ambitieux, devait répondre à plusieurs objectifs, qui relèvent finalement de critiques récurrentes faites à notre Justice : rapprocher la justice du citoyen, favoriser les modes alternatifs de règlement des conflits, améliorer l’organisation judiciaire pour un traitement plus efficace du contentieux…

Nouvelles compétences dévolues aux maires, réforme du divorce par consentement mutuel : les réserves du Sénat

Partageant ces objectifs, le Sénat a néanmoins tenu à faire valoir ses positions sur certaines mesures-phares portées par le texte, telles que :

  • la collégialité de l’instruction pour les affaires les plus complexes, mesure en écho direct à l’affaire dite « d’Outreau » et qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2017. Notre pays n’en a pas les moyens, notamment en effectifs de magistrats. Je partage complètement ce constat et nous allions directement « dans le mur ». Le Sénat a adopté une solution de compromis : limiter la collégialité de l’instruction à certains actes et aux affaires les plus complexes de juridictions spécialisées ;
  • la réforme du divorce par consentement mutuel (66.234 cas prononcés en 2014), qui sera désormais prononcé selon une nouvelle procédure ne nécessitant aucun passage devant le juge aux affaires familiales. Le principe en serait le suivant : une fois les deux époux d’accord sur les modalités de leur rupture, l’accord serait contresigné par l’avocat de chacune des deux parties et ensuite enregistré chez un notaire.

Le Sénat a voté un dispositif plus restreint, optionnel (chaque conjoint pouvant exiger le retour à la procédure judiciaire de droit commun) et auquel il ne pourra être recouru dès lors que sont concernés des enfants mineurs. Par expérience, exclure les divorces avec enfants mineurs est vraiment une mesure de sagesse.

L’Assemblée a finalement prévu que les époux ne puissent pas recourir à cette nouvelle procédure dans deux seuls cas : lorsque l’un des époux se trouve placé sous un régime de protection ou lorsque le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge, demande son audition…

  • la contraventionnalisation (en amendes de 5ème catégorie de 500 et 800€) des actuels délits de conduite sans permis et sans assurance, mesure supprimée par le Sénat mais réintroduite par l’Assemblée ;
  • la simplification de la procédure de changement de sexe à l’état civil pour les personnes transsexuelles et transgenres, qui devaient jusqu’à présent fournir devant le juge des éléments objectifs, y compris de nature médicale, parfois « irréversibles » (intervention chirurgicale). Le Sénat avait maintenu l’esprit de ce dispositif, fondé sur des critères objectifs, mais en supprimant le besoin d’actes « irréversibles ». Désormais, l’expression de la volonté de changer d’identité sexuelle suffira pour les 10.000 à 15.000 personnes potentiellement concernées par cette procédure ;
  • le transfert aux Maires des compétences actuellement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance pour l’enregistrement et la dissolution des pactes civils de solidarité (PACS), mesure supprimée par le Sénat (en raison du surcroît d’activité et de la charge financière supplémentaire pour les communes) mais réintroduite en dernière lecture à l’Assemblée ; 
  • le transfert aux Maires des compétences actuellement dévolues au juge aux affaires familiales en matière de demandes de changements de prénoms, mesure supprimée par le Sénat (pour les mêmes raisons que la mesure précédente) mais également réintroduite par l’Assemblée. Cela représente un peu moins de 3.000 demandes par an ;

Simplifier l’accès à la justice et les démarches des justiciables :  un objectif qui fait consensus 

Parmi les mesures plus consensuelles et de bon sens soutenues par le Sénat, citons : 

  • la généralisation du service d’accès unique du justiciable (SAUJ), expérimenté depuis 2014 dans le ressort de certains tribunaux de grande instance. 
  • l’allongement à 5 jours (contre 3 actuellement) du délai de droit commun pour la déclaration de naissance, puis une durée dérogatoire de 8 jours lorsque l’éloignement entre le lieu de naissance et le lieu où se situe l’officier de l’état civil le justifie ;
  • la mutualisation, au sein d’une même agglomération, des effectifs des greffes du tribunal de grande instance, des tribunaux d’instance et du conseil de prud’hommes, mesure portée par le Sénat. L’objectif est ici de permettre d’adapter les effectifs des greffes à la réalité de la charge de travail et à son évolution au sein des différentes juridictions concernées ;
  • le traitement, par le pôle social des tribunaux de grande instance (TGI), des contentieux actuellement traités par les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI), ainsi qu’une partie du contentieux des commissions départementales d’aide sociale (CDAS) ;
  • la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, créés en 2011 et qui ont vocation à juger les mineurs de plus de 16 ans poursuivis pour des délits passibles d’une peine d’au moins 3 ans d’emprisonnement et commis en état de récidive légale ;

Ce n’est pas dans la réalité un grand changement, la pratique ayant continué à saisir les juges des enfants dans près de 100% des cas.

  • les mesures visant à « désengorger » les juridictions, en privilégiant les modes alternatifs de règlement des différends et en renforçant les actions de groupe devant le juge.