Adoption définitive du projet de loi de confiance dans la justice

Après l’accord en Commission Mixte Paritaire (CMP), le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » sur lequel j’ai travaillé en tant que rapporteur a été définitivement adopté. 49 articles du projet de loi restaient en discussion lors de la réunion de la CMP. 27 d’entre eux ont été adoptés dans la rédaction issue des travaux de la CMP, 19 dans la rédaction issue des travaux du Sénat, 2 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, et 1 article a été supprimé.

Fin du psychodrame sur le secret des avocats

Comme vous le savez, l’article 3 a donné lieu à de longs débats juridiques et passionnés, sous la pression des barreaux.

Pour rappel cet article introduit de nouvelles garanties en cas de perquisition (avec une décision préalable d’un juge des libertés), écoute ou réquisition de fadettes d’avocats. La polémique porte sur la reconnaissance du secret professionnel de l’avocat en matière de défense et de conseil. Alors que la Cour de cassation ne reconnaît pas le secret du conseil, l’article 3 adopté par la CMP reconnaissait ce secret du conseil mais avec deux exceptions : en cas de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement du terrorisme ou blanchiment ou dans les cas où l’avocat aurait fait l’objet de manœuvres de la part de son client. Ces exceptions ont provoqué le mécontentement et la mobilisation de la profession.

Toutefois, les sénateurs ont considéré que le secret professionnel en matière de conseil ne pouvait être opposable dans les affaires de fraude fiscale et de corruption (ainsi que le blanchiment de ces délits). « La profession d’avocat a eu tendance à s’auto-définir, à s’auto-considérer comme bénéficiaire d’un secret professionnel général et illimité. Cela est vrai pour la défense, mais pas, en droit positif, pour le conseil. La solution trouvée sur ce dernier point me semble équilibrée, » a déclaré Philippe Bonnecarrère.

En dépit du compromis atteint en CMP et face à la mobilisation de la profession, le Garde des Sceaux leur a proposé trois options : soit conserver le texte en l’état, soit supprimer la seconde exception sur les manœuvres, soit supprimer l’article 3. Une manière de mettre les représentants des avocats face à leurs responsabilités.

Par une motion adoptée à 65 %, le Conseil National des Barreaux a privilégié la suppression pure et simple de l’article 3. Cette motion a donné lieu à une concertation du ministre, représentants des députés et des sénateurs pour aboutir sur une position commune.

Le texte a donc été redébattu à l’Assemblée et a été amendé par le gouvernement. L’amendement adopté conserve la référence au secret du conseil mais il supprime la seconde exception (sur les manœuvres) et rappelle que le bâtonnier est présent en cas de perquisition d’un cabinet. Les garanties procédurales introduites par le texte sont maintenues. Ne pourra être saisi en perquisition qu’un « document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil ». Le secret professionnel du conseil ne sera toutefois pas opposable dans les infractions précédemment mentionnées, « sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions. »

« Nous avons considéré qu’il était normal que la société conserve des moyens d’action sur certains sujets, comme la fraude fiscale ou la corruption, qui touchent directement à l’essence même de la société, à la démocratie, au principe de consentement à l’impôt »

Philippe Bonnecarrère, rapporteur

Durée des enquêtes préliminaires

L’article 2 vise à encadrer les enquêtes préliminaires à trois ans (2 ans, renouvelable 1 an). Il n’y aura finalement pas de nouvelle exception pour la fraude fiscale, le trafic d’influence ou la corruption comme l’aurait souhaité le Sénat.

Par contre, une commission rogatoire internationale suspendra le délai. Au bout de trois ans, le parquet devra donc ouvrir une instruction.

 » La bonne application de cette réforme dépendra du nombre d’enquêteurs judiciaires ; elle marque le grand retour du juge d’instruction, «  a souligné Philippe Bonnecarrère.

La généralisation des cours criminelles départementales

L’article 7 sur la généralisation des cours criminelles départementales (constituées de 5 magistrats professionnels dont 2 pourront être remplacés par des avocats honoraires ou des magistrats à titre temporaires) a fait l’objet de débats entre l’AN et le Sénat. Le Sénat l’avait pour sa part remplacé par une prolongation d’un an de l’expérimentation en cours. En CMP, le Sénat a obtenu que l’expérimentation prévue jusqu’en mai 2022 aille à son terme. La généralisation n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2023.

Les avocats honoraires pourront être assesseurs dans les cours criminelles départementales mais pas aux assises (où les magistrats professionnels sont nettement minoritaires puisqu’au nombre de 3 avec une majorité pour un verdict de culpabilité entre les mains des jurés populaires).

Concernant la modification du délit de prise illégale d’intérêts

Sur le délit de prise illégale d’intérêts, c’est la rédaction du Sénat qui a été retenue. Actuellement, un responsable public peut être condamné si la justice établie qu’il avait un « intérêt quelconque » à la décision. L’intérêt ne devra plus être quelconque, mais de nature à compromettre son objectivité, son impartialité ou son indépendance. Il s’agissait d’une demande ancienne des élus locaux, reprise récemment par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Le rappel à la loi se transforme en « avertissement pénal probatoire »

Le rappel à la loi sera remplacé par un avertissement pénal probatoire (qui consistera à rappeler « les obligations résultant de la loi »), sauf si la personne a déjà été condamnée ou en cas de violences contre les personnes. Cette décision pourra être revue en cas de nouvelle infraction dans les deux ans.

Le gouvernement voulait un an, le Sénat trois ans, le compromis s’est arrêté sur deux.