Loi 3DS : changement d’équilibre

Où en est la loi dite « 3DS » ? Après une première lecture au Sénat, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a été très profondément remanié lors de son examen à l’Assemblée nationale, altérant très significativement l’équilibre du texte tel qu’il résultait des travaux du Sénat. Au final, 107 nouveaux articles (que le Sénat n’a pas examinés) ont été ajoutés. Le sort de la commission mixte paritaire fixée à la fin du mois de janvier est très incertain.

Dès les travaux en commission, le projet de loi été remanié en profondeur sur l’ensemble de ses volets. L’Assemblée nationale est revenue sur de très nombreux apports du Sénat. Outre l’ajout de 45 articles supplémentaires, les commissions de l’Assemblée nationale ont, généralement avec l’avis favorable du Gouvernement :
– adopté conformes 48 articles ;
– modifié 109 articles ;
– supprimé 59 articles.

En séance, 450 amendements ont été adoptés, donnant lieu à 67 articles additionnels. L’examen en séance du texte n’a pas été l’occasion de revenir sur cette évolution et de proposer un texte de compromis.

Sur le fond

A l’exception du rétablissement de l’article, introduit par le Sénat, relatif à la revitalisation commerciale des centres bourgs, les débats en séance publique n’ont pas permis de rétablir les apports du Sénat, dont beaucoup résultaient des « 50 propositions » pour les libertés locales, sur des sujets tels que le transfert des compétences « eau » et « assainissement », l’implantation d’éoliennes sur le territoire communal, ou encore les transferts de routes aux départements, métropoles et régions.

Enfin, 62 articles ont été ajoutés lors de l’examen en séance, portant à 107 le nombre d’articles que le Sénat n’a pas examinés et sur laquelle la commission mixte paritaire devra se prononcer.

Le Sénat s’est attaché à enrichir le texte de 29 des 50 propositions « pour le plein exercice des libertés locales ». Seules 5 parmi celles-ci ont été reprises sans modification substantielle par l’Assemblée nationale, leur portée est inférieure à celles supprimées.

Parmi les « 50 propositions » introduites dans le texte lors de son examen au Sénat, figurent en particulier celles visant à :

  • élargir des possibilités de délégation de compétences entre collectivités territoriales afin d’en faire l’instrument de droit commun des coopérations territoriales (proposition n° 15) ;
  • permettre aux intercommunalités de déléguer certaines de leurs compétences (proposition n° 17) ;
  • élargir les compétences des départements en tant que responsable des solidarités sociales, médico-sociales et territoriales (proposition n° 23) ;
  • amplifier les moyens d’action de la région pour conduire les stratégies de développement et d’aménagement du territoire, avec un bloc cohérent de compétences pour l’emploi, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur et le développement économique durable (proposition n° 24) ;
  • garantir la soutenabilité financière des transferts d’infrastructures aux collectivités territoriales (proposition n° 29) ;
  • mieux associer les collectivités territoriales à la gouvernance de certains des opérateurs de l’État (proposition n° 30).

Sur le volet différenciation

S’agissant de la différenciation, l’Assemblée nationale a adopté des amendements de suppression de l’ensemble des ajouts sénatoriaux relatifs :

  • au fonctionnement et à l’organisation des intercommunalités (transfert « à la carte » de compétences, intérêt communautaire et métropolitain, etc.) ;
  • aux mesures visant à revenir sur le transfert obligatoire des compétences « eau », « assainissement » et « gestion des eaux pluviales urbaines » ;
  • au pouvoir réglementaire local, dont les dispositions en la matière, particulièrement décevantes, se résument désormais à seulement cinq items ;
  • aux conditions de délégation de compétences de l’État vers les collectivités territoriales.

En ce qui concerne le volet relatif à la décentralisation :

  • les apports du Sénat concernant le transfert des routes n’ont quasiment pas été maintenus (articles 6 et 7), notamment la priorité accordée aux départements en cas de demandes concurrentes des routes et les délais des procédures de transferts définitifs ou à titre expérimental.
  • les garanties apportées afin d’assurer la neutralité des transferts de compétences en termes financiers et humains et le réexamen régulier des charges associées ont été supprimées (articles 43 et 44) ;
  • les transferts de compétences adoptés par le Sénat ou appelés de ses vœux ne figurent pas dans le texte adopté par l’Assemblée nationale :
    • amoindrissement du transfert de la compétence « service public de l’emploi » aux régions (article 3 ter) ;
    • refus maintenu de l’attribution de la compétence « médecine scolaire » aux départements (article 41 A) ;
    • octroi d’une simple autorité fonctionnelle des présidents de conseils régionaux et départementaux sur les gestionnaires des collèges et lycées (article 41) ;
    • rétablissement du principe d’un transfert aux régions de seulement 1/5ème des fonds « économie circulaire » et « chaleur » de l’Ademe (article 12) ;
    • suppression du renforcement de la compétence de solidarité des départements ;
    • suppression de la possibilité pour les départements d’octroyer des aides en matière de pêche maritime ;
    • suppression des mécanismes permettant aux maires et aux régions d’être mieux associés aux décisions d’implantation d’éoliennes (articles 5 septies A et 5 septies B) ;

Déconcentration

En matière de déconcentration, le texte ne contient plus aucun des ajouts du Sénat, qui ont fait l’objet d’amendements de suppression des rapporteurs.

Pour mémoire, le Sénat avait proposé de renforcer le rôle du préfet dans les délégations territoriales des agences de l’État (notamment l’OFB), d’attribuer un pouvoir de dérogation aux collectivités dans l’exercice de leurs compétences sous le contrôle du préfet, et de confier aux préfets de département un rôle en matière d’octroi d’aides financières et de subventions.

Le Gouvernement a toutefois introduit une nouvelle possibilité de délégation de signature de la DSIL au préfet de département (article 46 bis B) et sécurisé juridiquement la réforme du CEREMA (article 48), répondant ainsi partiellement aux attentes du Sénat sur ces sujets.

Simplification

Enfin, s’agissant de la simplification, seulement 34 articles sur les 77 articles ont été adoptés conformes ou avec de simples précisions rédactionnelles. Sur l’ensemble du texte, ont été confortés ou élargis :
– la procédure d’acquisition des biens sans maitre aux conservatoires d’espaces naturels (article 27) ;
– les dispositions relatives à l’aliénation, au maintien de la continuité et à l’entretien des chemins ruraux (article 27 ter) ;
– le dispositif de cession à titre gratuit de biens des collectivités territoriales et des administrations aux associations en incluant le don de matériel numérique (article 54).

Les dispositions relatives aux entreprises publiques locales ont été modifiée, les députés, s’inspirant pour partie de recommandations de la HATVP (intégration des chambres d’agriculture dans la définition des représentants d’intérêt, seuil de 100 000 habitants pour l’extension du répertoire des lobbyistes aux décideurs publics, précisions des règles de déport, institution d’un référent déontologue pour les élus locaux, etc).

Concernant le CNEN, l’Assemblée nationale a supprimé l’élargissement des conditions de saisine du CNEN mais conservé et sécurisé l’ensemble des autres dispositions relatives au fonctionnement du CNEN (remplacement des membres en cours de mandat, renforcement de la portée des avis, création d’une troisième vice-présidence).

Nouveaux sujets

Il faut noter des sujets nouveaux introduits à l’initiative des députés comme du Gouvernement. L’examen du texte à l’Assemblée nationale a été introduit 107 articles additionnels à l’initiative tant des députés que du Gouvernement,

Transition énergétique et transports :

  • permettre à l’État de conventionner avec les collectivités pour aménager, entretenir et exploiter le domaine public fluvial en vue d’assurer sa valorisation (article 11 bis);
  • permettre l’accès aux données acquises par les services numériques d’assistance au déplacement aux AOM (article 50 bis A) et sanctionner les entreprises refusant de mettre leurs données à disposition des collectivités (article 10 bis A) ;
  • faciliter des investissements des collectivités territoriales en matière d’énergie renouvelable (article 5 septies AA) ;
  • assurer la représentation des CESER au sein des comités de bassin et comités régionaux de la biodiversité (article 46 bis A).

Sujets locaux

  • Collectivité territoriale de Corse : modification des compétences de la collectivité territoriale de Corse, des prérogatives de son président et de la composition de la chambre des territoires de Corse (articles 1er ter A, 4 quinquies, 4 sexies);
  • Iles du Ponant : ajout un article non normatif visant à reconnaitre les particularités des communes insulaires métropolitaines (article 1er ter AA) ;
  • Département de la Manche : permis la célébration de mariages dans les communes associées dites « Marcellin » (article 4 septies);
  • Strasbourg : établissement par l’Eurométropole de Strasbourg d’un arrêté relatif à l’état des surfaces de la ceinture verte de Strasbourg (article 52 quater);

Sur la composition et le fonctionnement des instances locales thématiques

  • CDID et comités des finances locales : permettre la représentation des EPCI-FP ;
  • ANAH : représentation de Régions de France (article 12 bis A);
  • CESER : abaissement à 27 ans de l’âge maximal pour être éligible à la nomination au sein des représentants des jeunes des CESER (article 74 bis AB) ;
  • extension du régime des autorisations d’absence des élus locaux aux réunions des organismes au sein desquels ils représentent une association nationale d’élus (article 73 quater B) ;

Transparence de la vie politique et conflits d’intérêts

  • renforcement des obligations de transparence en matière de subventions octroyées par une collectivité (article 50 bis B) ;
  • extension des modalités de financement des sociétés coopératives d’intérêt collectif par les collectivités et leurs groupements (article 73 quinquies A);
  • formation des élus siégeant dans les organes des SEM (article 73 nonies);
  • déclaration d’intérêts des élus : clarification du contenu de la déclaration d’intérêts des élus en y incluant les mandats et fonctions des cinq dernières années (article 73 decies) et harmonisation du délai de dépôt des déclarations de fin de fonctions auprès de la HATVP (article 73 undecies).

Simplification de l’action publique locale

  • introduire une possibilité pour les EPES, les CROUS et les collectivités ou groupements de créer des sociétés de droit privé dédiées à des constructions universitaires (article 59 bis A);
  • ratifier l’ordonnance relative à l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil (article 50 quater) ;
  • assouplir les conditions de mutualisation des archives numériques (article 66 bis) ;
  • préciser des conditions de participation des communes au capital d’une société coopérative d’intérêt collectif fournissant des services de transport (article 73 quinquies B) ;
  • corriger la censure du Conseil constitutionnel relatif aux majorations d’indemnités de fonction au profit des élus (article 53 bis A).
  • soumettre à la définition d’un intérêt communautaire l’exercice de la compétence « cimetières et sites cinéraires » pour les communautés urbaines (article 4 quater A) ;
  • créer une obligation de médiation préfectorale en cas de difficultés pour l’installation d’un cirque itinérant sur le domaine public d’une commune (article 46 sexies A);
  • renforcer l’ouverture des codes sources publics aux usagers et collectivités territoriales (article 50 bis AB).