Françoise Gatel : « L’objectif de la loi 3DS est de rendre l’action publique plus efficace »

Le 21 juillet dernier, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi 3DS relatif aux collectivités. A l’issue d’un examen dense, le texte transmis à l’Assemblée nationale contient plus de 200 articles. Alors que la navette devrait se poursuivre au mois de décembre, la Sénatrice d’Ile-et-Vilaine Françoise Gatel, co-rapporteur du texte a accepté de répondre à mes questions pour évoquer les grandes orientations de ce texte attendus par les élus locaux.

Dans le rapport que vous avez présenté, vous avez dit vouloir « enrichir un texte qui manque cruellement d’ambition ». Pouvez-vous nous expliquer votre vision pour aborder les travaux parlementaires ?

A l’origine, le projet de loi s’appelait « 4D », pour « déconcentration, décomplexification, décentralisation et différenciation ». Les dernières lois relatives aux collectivités comme les loi Maptam, ou NOTRe, se sont révélées trop normatives et génératrices de difficultés. Et le projet de loi 4D était censé répondre aux difficultés de fonctionnement des collectivités qui avaient été identifiées lors du grand débat auxquels les élus avaient participé.

La crise sanitaire a aussi révélé le besoin capital de proximité; elle a aussi confirmé le principe selon lequel on ne gère bien que de près. Le projet de loi est arrivé dans ce contexte. Nous avons donc travaillé sur le texte avec l’objectif de rendre l’action publique efficace.

C’est le souci de l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre qui a guidé nos travaux. Gagner en efficacité est essentiel pour retrouver la confiance de nos concitoyens.

Françoise Gatel

En commission, nous nous sommes largement inspirés des 50 propositions pour le plein exercice des collectivités locales formulées par le Sénat en juillet 2020 .Nous avons posé trois grand principes pour accroître l’efficacité de l’action publique :

  • La subsidiarité : (selon lequel les compétences doivent être exercées au niveau le plus pertinent).
  • Le « qui décide paye » : Il incombe à l’autorité qui impose la norme d’en assurer le coût.
  • La responsabilité, les collectivités qui se voient confier des compétences doivent être dotées des moyens nécessaires.

Avez-vous réussi à donner de nouveaux pouvoirs aux élus locaux et une marge de manœuvre accrue ?

Oui. Nous avons proposé que chaque EPCI puisse faire de la territorialisation de compétences s’il le souhaite. L’intercommunalité pourrait choisir d’exercer une compétence pour une partie de ses communes seulement. C’est une manière de responsabiliser les élus. Là encore, on passe du principe d’une loi qui impose à une loi qui permet. On ouvre un champ des possibles.

Les intercommunalités font reproche au Sénat d’être revenu sur un certain nombre de responsabilités qui leur été confiées. Pouvez-vous justifier la position du Sénat à cet égard ?

Nous affirmons l’intérêt et la nécessité des intercommunalités. Mais nous affirmons aussi qu’elles sont des espaces de coopération, aux besoins différents. Force est de constater, aujourd’hui, que les transferts obligatoires de compétences aux intercommunalités n’ont pas toujours eu l’efficacité attendue.

A travers le volet décentralisation, vous avez prévu des transferts de compétences en faveur des régions, qui n’avaient pas été envisagés par le texte initial du gouvernement. Pouvez-vous revenir là-dessus ? Comment le rôle des régions est-il renforcé ?

Nous avons permis aux Régions de déléguer ou conventionner une partie de leurs compétences avec une autre collectivité par exemple la délégation de certaines aides aux entreprises aux départements. Nous avons aussi souhaité que les Régions soient les autorités coordinatrices de l’emploi en leur confiant la compétence du service public de l’emploi.

En ce qui concerne la politique de santé, nous avons voté une disposition de proximité qui prévoit que les agences régionales de santé sont gérées par un conseil d’administration, co-présidée par le Préfet de Région et le Président de Région.

Sur le plan de la médecine scolaire, nous avons voulu rattacher les infirmières scolaires aux départements. C’est une manière de rendre plus efficace la politique de prévention en matière de petite enfance et de protection infantile dont s’occupe déjà les départements. Mais le Gouvernement n’a pas accepté notre proposition. Nous avons aussi exprimé la nécessité de transférer les gestionnaires de collèges et lycées aux collectivités compétentes.

En matière de déconcentration, le rôle du préfet de département est aussi consolidé. Comment ?

La crise sanitaire a montré l’intérêt de la proximité et de la coordination des services de l’État. C’est pourquoi nous avons voulu remettre au premier plan le préfet de département. Nous avons inscrit dans le texte son pouvoir d’autoriser les collectivités à déroger aux règles fixées par voie réglementaire. Nous avons aussi posé le principe que toute décision de l’Etat au niveau territorial, y compris lorsqu’elle relève du niveau de la circonscription régionale doit être prise ou coordonnée par le représentant de l’Etat dans le département ou sur sa délégation.

Un des points d’achoppement avec le Gouvernement concerne le contrôle des allocataires du RSA, introduit en séance à l’initiative des sénateurs. Le Sénat a souhaité que le règlement départemental d’aide sociale puisse imposer une condition de patrimoine pour bénéficier du revenu de solidarité active (RSA). Le plafond a été fixé à 23 000 euros d ‘épargne. La Ministre a combattu cette disposition et parle d’un détournement du principe de différenciation territoriale. Qu’en pensez-vous ?

Le nombre d’allocataires au RSA a augmenté de plus de 8 % en un an. A la demande des conseils départementaux, nous avons inscrit dans le marbre une mesure de recentralisation de cetteaide pour éviter l’explosion de la facture des aides sociales.

Sur la question précise de la condition de patrimoine, il s’agit d’appliquer le principe de la différenciation. Ce qui est vrai à Mayotte, ne l’est pas à Paris ou en Bretagne. Il existe déjà des dispositions spécifiques pour l’Outre-mer, la montagne ou le littoral.

Certains voient la différenciation comme la fracture de la République. Je pense justement que la République est une et indivisible. La loi doit protéger le principe d’égalité sans le confondre avec l’uniformité. La différenciation est au contraire le moyen de permettre à chaque citoyen et chaque territoire d’avoir accès aux mêmes droits. C’est une condition d’équité pour tout le monde.

Françoise Gatel

Sur le RSA, naturellement, il n’y a aucune remise en cause de la solidarité. Nous avons simplement permis aux départements qui le souhaitaient de pouvoir mettre en œuvre une réglementation adaptée. Nous proposons aux collectivités d’appliquer un critère de pondération, dans une fourchette définie par la loi. La solidarité nationale doit s’exercer dans un contexte de droit mais aussi de responsabilité individuelle. C’est une rupture culturelle, nous sortons de la norme imposée pour agir en faveur d’adaptation possibles, voulues et encadrées. Toujours sur le RSA, chaque département a mis en œuvre des essentiels pour accompagner vers l’insertion.

Volet transport : Le transfert des routes relevant du domaine public routier national (autoroutes non concédées au privé, routes nationales et portions de routes) constitue l’un des volets les plus importants de ce projet de loi. Pouvez-vous revenir sur ce mouvement de décentralisation ?

C’est un des volets importants du texte. Un décret fixera la liste des routes dont la gestion pourra être transférée aux départements, après une concertation avec les collectivités concernées (départements, régions ou encore métropoles), et ce dans un délai de 2 mois après publication de la loi.

De leur côté, les régions auront la possibilité d’expérimenter pendant une durée de 8 ans, un transfert à la carte de ces routes et devront notifier ce choix trois mois après la publication du décret. Durant cette période, un département pourra par exemple transférer à la région la gestion d’une route départementale d’intérêt régional et vice versa.

Les débats ont permis de retoucher l’article 55 de la loi SRU, en accord avec le gouvernement. Quel compromis a été trouvé concernant les conditions de mise en œuvre de l’obligation pour les villes de disposer de 20 à 25 % de logements sociaux sur leur territoire ?

Nous avons voulu, par réalisme et pragmatisme, simplifier et alléger les contraintes qui pèsent sur les communes. Pour cela, nous avons voulu rendre plus progressif le rythme d’entrée dans le régime d’obligation. L’objectif de construction n’est plus à atteindre à une date fixe – 2025 – il est désormais étalé par période triennale, avec 33% de l’objectif à atteindre à chaque période et avec des variations en fonction du retard de la commune.

Le texte prévoit aussi la possibilité pour une commune n’atteignant pas ses objectifs de justifier son retard en présentant des éléments objectifs et chiffrés, notamment au regard du foncier disponible, de la population et du nombre de logements existants, privés et sociaux.

D’autres dispositions techniques ont été votées comme la déduction du décompte des résidences principales, dans le cadre de la loi SRU, les logements des militaires situés dans les casernes ou les camps militaires ; ou la possibilité de pondérer le décompte des logements sociaux construits après publication de la loi, en fonction de leur taille (les logements comptant quatre pièces ou plus feraient ainsi l’objet d’une majoration de 50 % dans le décompte).

Enfin, nous avons voté une disposition présentée comme une « loi SRU à l’envers », avec l’idée de lutter contre les ghettos. Elle interdit la construction de nouveaux logements très sociaux dans les communes comptant déjà plus de 40 % de logements sociaux.

Enfin, nous avons étendu l’acquisition des biens sans maîtres au bout de 10 ans aux zones de revitalisation rurale et donné aux maires un droit de veto lorsque l’EPCI tente de diminuer leurs droits à construire.

Le texte aborde par fragments, le lien entre les élus et les citoyens. Par exemple, il abaisse le seuil du nombre de signatures permettant de demander l’organisation d’une consultation sur une affaire de compétence de la collectivité. Alors que nous avons assisté à une explosion de l’abstention aux dernières élections, est-ce que ce texte vise aussi à réconcilier les citoyens avec la chose publique ? Comment bien articuler démocratie participative et représentative ?

La première façon de réconcilier les habitants avec la chose publique, c’est l’efficacité. C’est ce leitmotiv qui a guidé nos travaux.  Il faut prendre en compte un certain nombre d’évolutions sociétales qui caractérisent cette crise de confiance entre les élus et les citoyens.

Il y a un désintérêt et une méconnaissance de nos institutions et de nos différents échelons et sur ce point, je crois qu’il faut parler aux gens des services qu’apportent les collectivités plutôt que des institutions. Il faut aussi prendre en compte les changements de société. Aujourd’hui, les gens ont un rythme de vie soutenu, ils sont très nomades, ils déménagent, se déracinent et ne tissent pas des liens aussi forts avec leurs territoires que leurs aînés. L’adhésion à la démocratie s’est effritée au fil du temps. Il n’y a pas un sentiment d’urgence, ni un sentiment de danger concernant notre système démocratique. Et pourtant, il faudrait reconsidérer la démocratie comme quelque chose de fragile dont il faut prendre soin.

La confiance entre les élus et les citoyens ne se décrète pas. On ne va pas transformer nos concitoyens en démocrates convaincus uniquement par la loi ! Mais il faudrait aller plus loin et réfléchir sérieusement à la manière de redonner envie aux gens de participer à l’action citoyenne, identifier les bonnes pratiques.

Les citoyens sont aujourd’hui davantage des consommateurs de démocratie que des acteurs. Et je pense que repartir de la commune est la base pour redonner envie aux gens de vivre et faire des choses ensemble. Quand les citoyens donnent un peu à la commune, alors ils reçoivent en retour. Je pense aux pédibus par exemple. Ces initiatives créent du lien entre les habitants et donnent un sens aux aînés souvent isolés qui retrouvent l’envie de lever le matin pour accompagner les plus jeunes à l’école. Je crois aussi beaucoup aux actions de sensibilisation dans les écoles qui permettent en même temps de toucher les parents.

Par ailleurs, je pense qu’il ne faut pas substituer à la démocratie représentative, la démocratie participative. Même si la démocratie participative est un outil pour associer davantage les citoyens à la prise de décision, sur le terrain, dans les faits, elle profite souvent à des gens qui s’habillent de l’intérêt général pour défendre un intérêt particulier en matière d’urbanisme.

Pour revenir au projet de loi, nous avons abaissé le seuil du nombre de signatures permettant de demander l’organisation d’une consultation sur une affaire de compétence de la collectivité. C’est une bonne chose mais c’est un travail de longue haleine et nous allons poursuivre nos travaux en ce sens, au sein de la délégation aux collectivités du Sénat. Les élus sont parfois envahis de demandes ou d’injonctions à plus de démocratie participative mais il faut les accompagner dans la mise en œuvre de ces actions.

Je pense que le réel enjeu de la démocratie participative c’est d’avoir un diagnostic partagé. Il faut associer les citoyens à la décision sur des projets selon leurs centres d’intérêt. Les conseils des jeunes sont des bons exemples. Mais les élus locaux, les maires ont déjà cette sage culture naturelle du dialogue. Je n’ai jamais vu un élu enfermé dans une tour et qui n’écoute jamais ses administrés !

Quel est le calendrier pour le projet de loi ? Quand sera-t-il examiné à l’Assemblée nationale ?

Le texte sera examiné à partir du 6 décembre à l’Assemblée nationale. Nous verrons à ce moment-là si les députés soutiennent les propositions du Sénat constructives, réalistes, soucieuses d’efficacité et sans esprit polémique ou partisan.