Quels sont les enjeux du SDIS du Tarn en 2022 ? Le Colonel Christophe Dulaud et le Président du conseil d’administration du SDIS du Tarn, Michel Benoit ont accepté de répondre à mes questions.
Peut-on imaginer un numéro unique d’appel d’urgence 112 dans le Tarn ?
Le SDIS du Tarn est favorable depuis longtemps à un numéro d’urgence unique, et au-delà, à une plate-forme unique permettant de réunir a minima les sapeurs-pompiers et la régulation médicale du SAMU, puisque 80 à 85 % des missions des sapeurs-pompiers sont des missions de secours à personne.
Le numéro d’urgence unique simplifierait pour la population le recours à un service d’urgence quel qu’il soit (SAMU, pompiers, forces de l’ordre, ambulanciers, permanence des soins) puisqu’un seul numéro serait à connaître, et renforcerait aussi la coordination de ces services.
Une plate-forme commune offrirait l’avantage de regrouper ces services en un même lieu, ce qui ne pourrait qu’améliorer et fluidifier leurs relations et leur fonctionnement commun. Or, il existe une certaine réticence des SAMU en France à se regrouper avec les sapeurs-pompiers, ce que nous regrettons, car là où les plates-formes communes ont été mises en place, ce qui est le cas d’une vingtaine de départements, les résultats sont plutôt favorables.
Faute de pouvoir trancher nationalement la question de l’instauration d’un numéro d’urgence unique, le législateur est intervenu sur ce point dans la récente loi « sécurité civile », et a prévu de recourir à une expérimentation. Vous nous demandez si le Tarn peut être candidat à cette expérimentation : nous l’aurions souhaité, mais il faut retenir des départements où les conditions techniques soient réunies. C’est l’État qui fera le choix d’une zone de défense au sein de laquelle auront été identifiés 3 départements en capacité de mener les 3 formes d’expérimentation prévues. Il y a donc peu de chance que le département du Tarn soit concerné.
Le législateur pense avoir traité la question des carences ambulancières. Est-ce le cas ?
Vous faites référence à un sujet compliqué, au moins matériellement.
Jusqu’alors selon la loi, les sapeurs-pompiers sont uniquement chargés des missions de secours aux personnes victimes d’accidents, sinistres et catastrophes, même s’ils peuvent bien entendu être sollicités pour intervenir sur d’autres missions de secours à personne qui ne relèvent pas de leurs missions légales, comme les malaises par exemple.
Ces missions « hors champ de compétence propre » des sapeurs-pompiers s’effectuent à la demande de la régulation médicale du SAMU, et se répartissent en 2 catégories :
- les interventions d’urgence, en appui logistique d’un SMUR, qui sont facturées à chacun des 3 hôpitaux siège de SMUR ;
- les interventions non urgentes, en cas de défaut de disponibilité d’un transporteur sanitaire privé (carences ambulancières), indemnisées selon un tarif fixé nationalement à hauteur de 124 €. Le Président de la République a d’ailleurs annoncé en octobre dernier lors du congrès national des sapeurs-pompiers de France à Marseille, leur revalorisation au minimum à 200 €, mais cette annonce ne s’est pas concrétisée à ce jour.
Au-delà de ces « carences ambulancières », c’est la question du financement des charges supplémentaires imposées aux SDIS par l’État qui est posée, comme le financement du nouveau système de gestion opérationnelle NexSIS.
Est-ce que le législateur a vraiment simplifié les choses ? Pas vraiment, même si l’idée de définir ce qu’est une carence ambulancière est positive comme celle de permettre aux SDIS de différer voire de refuser ces missions par « carence », ou encore d’institutionnaliser une commission de conciliation paritaire entre SDIS et SAMU, laquelle avait d’ailleurs déjà en place dans le Tarn.
Or, la loi « sécurité civile » a élargi le périmètre des interventions propres des SDIS, qu’il leur reviendra donc de prendre en charge directement, en les étendant d’une part aux détresses vitales (même s’il n’y a pas d’accident) et d’autres part aux détresses dites fonctionnelles susceptibles de justifier d’une urgence à agir.
L’enfer est comme souvent pavé de bonnes intentions et en élargissant le champ d’action propre des sapeurs-pompiers pour des motifs légitimes, le législateur a eu un impact direct sur l’équilibre des relations entre SDIS et SAMU, et nous allons donc devoir ouvrir de nouvelles discussions avec les centres hospitaliers en espérant qu’elles ne conduisent pas à une nouvelle période d’instabilité dans nos relations financières …
Où en est le dossier des volontaires ?
Vous faites allusion à un mouvement social récent des sapeurs-pompiers volontaires de certains centres de secours du département. Il convient de distinguer deux sujets.
La loi sécurité civile a prévu des améliorations intéressantes et pertinentes pour les sapeurs-pompiers volontaires, qui portent en particulier sur une meilleure couverture sociale, et une meilleure reconnaissance de la durée de leur engagement lors de leur cessation d’activité. Ces mesures seront bien sûr mises en application dès que les décrets seront publiés.
Les récentes tensions survenues avec les volontaires concernent un tout autre sujet relatif à une évolution de l’organisation de leurs gardes suite au changement du régime de service des sapeurs-pompiers professionnels dans ces centres.
En effet au 1er janvier, les 200 sapeurs-pompiers professionnels des centres de secours tarnais sont passés d’un régime de service incluant des gardes de 24 heures (décomptées 16h40 de travail selon un principe d’équivalence réglementaire) à un système de garde plafonnées à 12 heures et décomptées effectivement 12 heures, assorti parallèlement de l’alignement de la durée annuelle de travail sur les 1607 heures légales. Ceci s’est effectué dans le cadre d’une opération plus globale avec la création de 18 postes de sapeurs-pompiers professionnels.
Il existe 7 centres de secours dits mixtes dans notre département où les volontaires et les professionnels travaillent conjointement, et les sapeurs-pompiers volontaires de ces centres ont pu avoir le sentiment que leur situation n’avait pas été prise en compte lors des évolutions négociées avec les professionnels. C’est ce sujet qui est à l’origine des tensions de la fin d’année et que nous allons reprendre posément avec les sapeurs-pompiers volontaires de ces 7 centres.
Et la DECI (défense en eau contre l’incendie) ?
Cette question est très importante pour les collectivités locales, et il faut en repréciser le cadre. L’État a fait évoluer en 2015 une réglementation nationale uniforme datant de 1951, vers un dispositif départemental visant à plus d’adaptabilité, fixé par un arrêté préfectoral portant règlement départemental de la DECI (RDDECI). c’est l’État qui a demandé aux SDIS d’être son bras armé sur ces sujets.
La DECI n’est donc pas une compétence du SDIS, même si le SDIS a beaucoup contribué à l’élaboration du RDDECI. Nous sommes conscients que le maire à en bout de chaîne la responsabilité, et c’est la raison pour laquelle nous considérons essentiel que sur ce sujet, les maires soient associés avec leur association départementale. Ce qui a d’ailleurs été le cas lors de l’élaboration du RDDECI.
Après quelques années de mise en œuvre du RDDECI, il apparaît nécessaire d’y apporter quelques évolutions et de travailler à une révision sous l’égide de la préfecture et en partenariat avec l’Association des Maires du Tarn.
Nous mesurons bien les enjeux d’aménagement et financiers de la DECI pour les collectivités locales que ce soit au niveau communal ou intercommunal, mais les SDIS sont seulement amenés à donner un avis sur la constructibilité de tel ou tel terrain au regard des éléments de la défense incendie du secteur géographique concerné. Il s’agit à chaque fois non pas d’une appréciation individuelle mais d’une application du règlement départemental. La gestion des permis de construire est bien sûr un sujet stratégique pour les collectivités locales, et notre objectif est de les accompagner… dans les limites du règlement départemental.
La question de la DECI illustre une perception nouvelle du SDIS par les collectivités locales, car nous ne sommes pas là dans notre cœur de métier que sont les interventions pour incendie ou accident, mais sur la mise en œuvre de procédures administratives en matière d’urbanisme. Le même constat existe pour l’ouverture ou les visites périodiques des établissements recevant du public, ou pour les projets industriels. Mais on pourrait aussi évoquer l’implication du SDIS du Tarn sur la formation des collégiens aux gestes qui sauvent.
Est-ce que les communes ont de nouvelles obligations en matière de plans communaux de sauvegarde (PCS) ?
Une première lecture de la loi sécurité civile aurait pu donner ce sentiment puisque les risques imposant à une commune de disposer d’un PCS ont été élargis. Des seules communes soumises à un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) ou entrant dans le champ d’application d’un plan particulier d’intervention (PPI), sont désormais également concernées les communes exposées aux risques d’inondations, sismiques et feux de forêts.
Pour autant, les 314 communes tarnaises avaient déjà toutes l’obligation de disposer d’un PCS car impactées par l’aléa naturel du retrait-gonflement des argiles. Les nouveautés concernent donc l’établissement d’un plan intercommunal de sauvegarde (PICS) dans les intercommunalités dont au moins une commune est soumise à l’élaboration un PCS, et peut-être surtout l’obligation de réalisation d’exercices PCS/PICS tous les 5 ans.
La question pratique sera de savoir si le plan intercommunal pourrait se substituer aux plans communaux ou s’il y aura cumul des deux, car nous touchons là le sujet sensible pour les maires de leur rôle d’officier de police.
Cela augure en tout cas des discussions intéressantes entre les communes et leur intercommunalité sur le « qui fait quoi ».
Est-ce que les sapeurs-pompiers Tarnais seront demain dotés d’une « caméra piéton » ?
Cette possibilité vient effectivement d’être ouverte par la loi sécurité civile, suite à une expérimentation menée dans une dizaine de SDIS. Elle vise à protéger les sapeurs-pompiers susceptibles de se trouver exposés à des violences, principalement dans les quartiers dits sensibles, ou des situations d’agression.
Nous avons eu en 2021 une quinzaine d’incidents de ce type, essentiellement des injures, mais heureusement aucun blessé.
La « caméra piéton » peut-être un élément de pacification mais cela suppose que cette analyse soit également partagée par les sapeurs-pompiers tarnais. Or, ils n’y sont pas forcément favorables, en tout cas pour le moment, et il n’est donc pas prévu de déployer des « caméras piéton ».
Avez-vous des sollicitations nouvelles ?
Les SDIS sont des établissements publics, financés par une contribution annuelle des communes, des EPCI, et du Département. Ils font régulièrement le constat d’une mise à leur charge de dépenses nouvelles par le niveau régalien, comme le nouveau système national de traitement des alertes « NexSIS » qui bien qu’annoncé comme tel, ne sera pas totalement gratuit pour les SDIS. Le nouveau « réseau radio du futur » (RRF) prévu vers 2025, aura aussi des conséquences sur le budget des SDIS. L’augmentation de la prime de feu des sapeurs-pompiers professionnels décidée en 2019 par l’État a également eu des conséquences financières sensibles.
Mais le SDIS est aussi sollicité sur d’autres actions comme le Service National Universel (SNU), que nous accompagnons par l’encadrement de 2 journées, en particulier sur des notions de secourisme et la sensibilisation des jeunes aux divers risques. En 2023, nous aurons également à accueillir des jeunes du SNU en mission d’intérêt général dans nos centres de secours.
Les SDIS sont également beaucoup sollicités dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 et pour la vaccination où les sapeurs-pompiers sont très présents. Nous avons contribué à « armer » les centres de vaccination en mettant à disposition beaucoup de sapeurs-pompiers volontaires, dont des personnels de santé infirmiers ou infirmières principalement, des vaccinateurs, soit 70 sapeurs-pompiers volontaires, non infirmiers, mais formés au geste vaccinal, et des logisticiens. Enfin, le SDIS a mis à disposition un officier pour assurer la coordination du centre de vaccination de Mazamet.
Bien que cette mission vaccinale soit relativement éloignée du cœur de métier des sapeurs-pompiers qui reste les secours d’urgence, il faut souligner que les SDIS ont été présents pour assurer une contribution importante à une campagne dont chacun peut mesurer l’importance pour notre pays. Il faut également préciser que la mise à disposition des sapeurs-pompiers pour la vaccination a été compensée financièrement par l’ARS.
Avez-vous un dernier message à faire passer ?
Oui, le sujet médical. La question des déserts médicaux est un sujet que nous partageons avec les élus locaux, puisque le manque de médecins en milieu rural conduit à un manque de médecins dans nos centres de secours, puisque ce sont les mêmes qui s’y engagent en tant que médecins sapeurs-pompiers volontaires.
Cette pénurie de médecins impacte le SDIS à 2 niveaux : d’abord parce le réseau des médecins sapeurs-pompiers volontaires sur le territoire est peu étoffé et ne permet plus leur appui opérationnel sur les interventions qui le nécessitent. C’est une question de maillage territorial. Ensuite parce que ce faible effectif de médecins sapeurs-pompiers volontaires menace le suivi annuel de l’aptitude médicale des sapeurs-pompiers, qui représente plus de 500 visites par an, et qui conditionne leur engagement opérationnel.
Certes le SDIS compte un médecin-chef professionnel, donc salarié, mais les candidats à ces postes sont peu nombreux, et au moins 4 SDIS sur les 8 de l’ex-région Midi-Pyrénées n’ont pas de médecin-chef professionnel.
Le sujet de la présence médicale dans les territoires et au sein des SDIS est un sujet qui nous concerne tous.