Comment mieux donner la parole aux citoyens?

TRIBUNE: Comment mieux donner la parole aux citoyens?

 La crise des Gilets Jaunes a fait apparaître les aspirations de la société en faveur de plus de démocratie participative. Dans cette tribune, je vous livre mes réflexions sur le sujet.

L’aspiration légitime à plus de démocratie au quotidien 

Elle est légitime et chacun l’avait bien en tête. J’ai rédigé un rapport début 2017 sur la démocratie participative intitulé « le temps d’une démocratie coopérative? ». Chacun a le désir de participer à la décision dans une association, une commune, notre pays ou l’Europe.

Le niveau d’éducation et d’information a beaucoup évolué. Avec les Civitech, de nombreux outils numériques proposent de nouveaux modes de participation. Les réseaux sociaux, qui ne le sont peut-être pas tant que cela, sont là. Chacun se considère comme acteur. Et admettons-le, l’élection ne suffit pas pour décider. Nous somment passés suivant la formule du philosophe contemporain Marcel Gauchet d’une légitimité de position à une légitimité de décision.

Une décision ne peut plus être prise dans la France de 2019 par le seul fait de l’élection mais parce que vous êtes aussi en mesure de l’expliquer et de la justifier.

 

Dépasser l’illusion de la démocratie directe

Athènes a inventé la démocratie avec la réunion de quelques milliers d’Athéniens sur l’agora votant à main levée. La révolution française, comme nos amis anglais qui ont le plus ancien Parlement du monde l’avaient fait avant, a fait le choix de la démocratie représentative, d’une démocratie d’élection où les représentants élus décident au nom du peuple et pour le peuple suivant la formule de l’article 2 de notre Constitution. Chacun peut participer à la vie démocratique, se présenter et être élu. C’est notre fonctionnement depuis plus de deux siècles. La démocratie est peut-être le plus mauvais des systèmes mais à l’exception de tous les autres !

Je crois que la démocratie participative doit prendre plus d’importance dans notre société, qu’il en existe de nombreux moyens mais qu’elle ne peut pas remplacer la démocratie dite représentative.

La démocratie participative viendrait revitaliser la démocratie représentative mais non s’y substituer.

La démocratie directe pose les mêmes problèmes de représentativité. L’expérience montre vite le poids des TLM, c’est-à-dire des « toujours les mêmes ». Lors des réunions de quartier, chacun de mes collègues a pu en faire l’observation, ce sont le plus souvent les mêmes personnes qui viennent et au sein de celles-ci, toujours les mêmes qui s’expriment.

Les réseaux sociaux favorisent la polarisation. Les personnes qui pensent A s’alimentent sur des sites qui développent la pensée A sans jamais de débat entre idées différentes d’où une polarisation des opinions publiques, voire même le complotisme , une évolution que je ne crois pas heureuse vers une vie politique plus violente, plus frontale.

 

Donner un nouveau souffle à la démocratie

 Nous pouvons apporter plus de démocratie participative dans notre vie publique à travers l’initiative citoyenne, c’est à dire le droit à un débat parlementaire ou à l’examen d’une proposition de loi, en redonnant vie au droit de pétition tombé en désuétude, à travers aussi une meilleure préparation de la loi par l’intégration de consultations numériques, de conférences de consensus ou encore de panels citoyens.
Mais le sujet essentiel est bien sûr celui du référendum.

 

De l’usage de nos outils démocratiques pour sortir de la crise

Le référendum peut être une réponse à l’issue du Grand Débat mais la réponse à cette crise ne peut pas être qu’institutionnelle. Un volet économique et social devra en faire partie. Pour revenir au référendum, c’est un des outils donnés par la Constitution de la Vème République à notre Président et aussi un des sujets du Grand Débat.

Nous avons quatre types de référendum. Le référendum de l’article 89, le dernier article de notre Constitution, ne fait aucune difficulté. Après adoption dans les mêmes termes d’une réforme constitutionnelle par l’Assemblée nationale et pour le Sénat, le Président de la République a le choix de faire adopter (ou pas) la révision constitutionnelle par un vote du Parlement réuni en congrès à la majorité des 3/5ème ou de le soumettre au référendum.

L’autre référendum illustré par le Général de Gaulle est celui de l’article 11, la possibilité pour le Président de la République de recourir au référendum pour une question d’organisation des pouvoirs publics, la ratification d’un traité ou des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation.

Notre pays n’a pas de culture référendaire et son utilisation a été « chahutée », nos concitoyens se prononçant généralement non pas en fonction de la question posée mais de la personne qui la pose. Un élargissement du référendum de l’article 11 pourrait être envisagé avec l’hypothèse de questions plurielles ou de réponses alternatives . Je note un consensus sur le fait écrire dans le texte que tout projet de référendum serait soumis à l’analyse préalable du Conseil Constitutionnel.

Deux sujets ont surgi dans le grand débat avec le référendum d’initiative partagée (le RIP) et le référendum d’initiative citoyenne (le RIC).

Le référendum d’initiative partagée prévu dans la deuxième partie de l’article 11 peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soit 185 parlementaires et de 1/10ème des électeurs soit environ 4,8 millions de signatures à recueillir sous des formes peu définies dans un délai de neuf mois. Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les assemblées dans un délai de six mois, elle est alors soumise à référendum.

 

Assouplir les modalités du référendum d’initiative partagée

Ce référendum d’initiative partagée a été prévu par une révision constitutionnelle de 2008 mais les modalités d’application ne sont que de 2013, soit une application au 1er janvier 2014. Il n’a jamais été utilisé et le sera très difficilement tant la condition des 4,8 millions de signataires est difficile à remplir.

Je suis donc favorable à l’assouplissement des modalités du référendum d’initiative partagée notamment en diminuant le nombre de parlementaires signataires et le nombre exigé de nos concitoyens. La contrepartie pourrait être de ne donner force exécutoire au résultat du référendum que si un minimum de citoyens s’expriment, par exemple une moitié. Je serai aussi favorable à un délai de « maturation « de la question, à un allongement par exemple à un an du délai d’examen du Parlement ( et ce, pour éviter les votes d’émotion).

Référendum d’initiative citoyenne : un risque pour la stabilité de nos institutions

Ses promoteurs s’enthousiasment pour cette démocratie directe où un certain pourcentage de nos concitoyens pourrait obtenir qu’une question soit posée directement aux Français par voie de référendum. Je n’y suis pas favorable pour plusieurs raisons. 

La première est liée au caractère très brutal de ce type de référendum. Un référendum est binaire : vous répondez oui ou non. C’est noir ou blanc là où le Parlement peut vous donner une réponse « en couleurs ». Une question complexe a rarement une réponse simple.

La seconde est que vous aboutissez à des campagnes dures où les opinions se polarisent de part et d’autre et vous vous retrouvez avec un problème comme celui de nos amis anglais insoluble depuis deux ans après le vote du Brexit.

C’est aussi un système dans lequel les corps intermédiaires disparaissent. Le Président de la République mène une politique appuyée par sa majorité et une partie de nos concitoyens peuvent en appeler au peuple en cas de désaccord. C’est un débat direct entre la population et le Président de la République, le Parlement disparaissant totalement.

Le Président de la République n’a pas alors d’autre solution que de gagner le référendum et nous évoluerions très vite vers une république plébiscitaire ou s’il le perd de se démettre ou de se soumettre. Dans les deux cas, le Président de la République n’a plus d’autorité alors que nos institutions reposent justement sur sa capacité d’arbitrage.

Je ne suis pas dans une défense corporative des élus locaux ou des élus nationaux mais je crois dévastateur pour notre système politique le duel entre RIC et Président de la République.

Une Constitution doit être vue de manière apolitique et intemporelle, fonctionner au service de notre pays quelles que soient les majorités politiques ou les moments difficiles. La Constitution de la Vème République a donné une structure, une solidité à nos institutions. Ne les perdons pas.

 

Vers la reconnaissance du vote blanc ?

Lors des débats, je n’entends que des avis favorables à la reconnaissance du vote blanc. ‘idée qu’un de nos concitoyens veuille exprimer son désaccord avec les candidats en présence par le vote blanc est respectable. C’est déjà le cas depuis une loi de 2014: « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal ».

La question posée est de savoir s’ils ont vocation à être pris en compte pour la détermination des suffrage exprimés. Ce serait l’objet de la reconnaissance du vote blanc.

Par contre, je n’ai toujours pas compris comment cela pouvait fonctionner. Imaginons une élection législative demain et au deuxième tour le candidat A obtient 45 % des voix, le candidat B 40 % et vous avez 15 % de vote blanc. Si vous devez considérer que le candidat A n’est pas élu, j’en déduis que vous devez organiser une nouvelle élection. Est-ce que les candidats n’ayant pas obtenu la majorité lors de l’élection précédente peuvent ou non se représenter ? Qu’ils puissent se représenter ou pas ne change rien au fait qu’il faut laisser un nouveau délai de campagne pour de nouveaux candidats. Nous aurons un certain nombre de circonscriptions ayant élu leurs députés au soir des premier et deuxième tours et une autre partie de la France devrait revoter deux mois plus tard.

Mon deuxième exemple serait celui de l’élection présidentielle. Si le candidat A obtient 45 % des voix avec un candidat B à 40 % et toujours 15 % de vote blanc, je ne vois devant nous que des problèmes. Si le candidat A n’est pas élu, nous devons recommencer une élection présidentielle et le pays se trouvera plus ou moins à l’arrêt. Si le candidat A est déclaré élu parce qu’arrivé en tête, même si non majoritaire , nous aurions un Président de la République clairement minoritaire et sa légitimité en souffrirait.

La reconnaissance du vote blanc peut aussi avoir la conséquence « contra- intuitive » d’être défavorable à la liberté d’expression. Pourquoi ? Pour participer au second tour d’une élection législative, il faut obtenir au premier tour 12,5% des suffrages exprimés et 10 % aux élections régionales ou aux élections municipales. La prise en compte des bulletins blancs revient à augmenter automatiquement le seuil des suffrages exprimés pris en compte. Si nous ne voulons pas porter atteinte au pluralisme, il conviendrait alors de diminuer les seuils d’accès au second tour.

Pour résumer, oui au vote blanc mais à condition de trouver des solutions pratiques.

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

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