En direct avec le Ministre de l’Éducation nationale

Le nouveau ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer s’est exprimé très complètement et très directement cette semaine devant notre commission sénatoriale.

Il nous a conquis : brillant, synthétique, convaincu et convaincant, prospectif. Vous noterez qu’il a aussi dans ses compétences la jeunesse et la vie associative. Je vais essayer de résumer son propos en l’orientant sur les préoccupations de nos collectivités et des parents.

Ce ministre a des convictions : « ouvrir l’avenir grâce à l’éducation », « l’école de la confiance pour une société de la confiance ».

Pour lui, à l’instar des systèmes éducatifs du nord de l’Europe, les systèmes scolaires qui fonctionnent sont ceux où il y a une confiance entre les acteurs, une confiance de la société envers l’école, des parents envers l’école et à la fin des élèves en eux-mêmes. Les élèves français sont ceux qui ont probablement le moins confiance en eux-mêmes en Europe. 

À son appréciation, l’éducation a été le lieu de beaucoup de blocages et il pense possible d’obtenir un consensus français sur l’école. Il entend s’appuyer sur les comparaisons internationales, sur les acquis de la science (les sciences dites cognitives) et sur les expériences.

Il explique que la priorité du Président de la République est l’école primaire dans la mesure où c’est à ce niveau que se créent ou « se préparent » les inégalités. C’est donc à ce niveau que l’action publique peut avoir les meilleurs résultats.

1.  Inégalité devant le langage

Sa première action portera sur l’inégalité devant le langage. Le dédoublement en REP + sera la pointe avancée de son dispositif. Ceci concerne l’école maternelle, CP et CE1.

Arrivé en mai, son objectif est d’être opérationnel dès septembre. Il estime que le résultat sera atteint dans 70 % des cas. L’objectif suivant en septembre 2018 sera d’aboutir à 100 % pour les REP + et d’avoir largement avancé sur le dédoublement en REP. Il voit dans des délais aussi rapides la preuve que l’éducation nationale peut évoluer.

Le dispositif dit « dispositif plus de maîtres que de classes » n’a pas été abrogé et sera recentré sur le CP et le CE1. Il sera évalué pour le deuxième semestre 2018.

Son analyse est que le dispositif « plus de maîtres que de classes » n’a fait à l’heure actuelle l’objet d’aucun résultat international favorable alors que les résultats sont très favorables pour le dédoublement. Même s’il pense que notre pays aboutira aux mêmes conclusions que les autres pays, il entend permettre l’évaluation « franco-française » de cette expérience.

Le dédoublement n’est pas suffisant et doit être complété par une politique de ressources humaines pour avoir en particulier en CP des maîtres expérimentés, par une  politique de formation des enseignants, notamment de formation continue. Il souligne que les outils pédagogiques doivent évoluer.

À son sens, l’éducation dite prioritaire est restée une intention, un vœu pieux dans notre pays : le dédoublement en REP + et ultérieurement en REP en sera pour lui le vrai départ et donnera aux enfants toutes leurs chances.

2.  Les devoirs faits 

Jean-Michel Blanquer explique que cette question est emblématique des blocages français avec un clivage entre ceux qui affirment que les devoirs sont nécessaires et il admet qu’ils sont bien nécessaires pour favoriser le plaisir et l’autonomie de l’élève.

Mais il y a aussi ceux pour qui les devoirs à la maison accentuent les inégalités au regard des possibilités familiales d’accompagnement.

Pour le ministre, les deux opinions sont exactes d’où la nécessité d’aller vers « l’internalisation » des devoirs faits. L’élève ferait ses devoirs à l’école, ce qui passera par des heures supplémentaires pour les enseignants, par une meilleure utilisation des assistants dits d’éducation (60 000 à l’heure actuelle !), par l’implication des services civils (10000 annoncés en s’appuyant ainsi sur la générosité de jeunes bien formés désireux d’une utilité sociale avant de poursuivre leurs études ou de démarrer leur profession).

Je n’ai pas l’impression que la question des « devoirs faits  » ait des conséquences pour les collectivités locales. Par contre, c’est bien le cas pour le dédoublement qui nécessite des locaux supplémentaires d’où le chiffre de 70 % à la rentrée de septembre compte tenu des questions immobilières à régler notamment en région parisienne.

3.  La nouvelle étape pour les collèges

Il réfute être dans un détricotage ou un retour en arrière, ne souhaite pas de « zigzags » en  matière de programmes scolaires.

Il explique être le premier ministre à ne pas souhaiter de grandes lois en matière d’éducation nationale.

Son idée est de demander aux acteurs d’être responsables et créatifs. Il est favorable à l’autonomie des projets éducatifs.

Son message principal est le retour aux sections bilingues, aux sections européennes, au latin et au grec.

Pour lui c’est une logique de personnalisation des parcours.

Il ne demande pas la fin des exercices pratiques interdisciplinaires (E.P.I.). Ce ne serait pas cohérent avec le principe de liberté. Il a la formule assez forte suivante :

« L’uniformisation n’est pas une solution à l’inégalité, sinon cela se saurait ! »

4.  Les rythmes scolaires

Sur cette question, la plus attendue par nos collectivités, il explique que la réforme des rythmes scolaires entraînait des satisfactions et des insatisfactions, que la situation actuelle n’est pas du tout homogène sur le territoire.

En proposant de donner de la liberté dans le système, il précise que l’on ne va pas d’une situation homogène vers une situation hétérogène puisque la situation est déjà hétérogène! Deux tiers des enfants ne fréquentent pas les rythmes scolaires à l’instant présent et aucune étude ne montre la supériorité du système de scolarisation sur quatre jours ou sur quatre jours et demi. Pour lui, l’important est dans la qualité du périscolaire et du lien entre le périscolaire et le projet scolaire.

Il entend que les communautés scolaires gardent ce qui marche … et à l’inverse ne gardent pas … Il ne souhaite pas d’injonction verticale. Ceux qui veulent la semaine de quatre jours peuvent y aller.

Il souhaite un vrai contenu des projets éducatifs de territoire ainsi que leur évaluation.

Etre respectueux de ce qui marche et attentif à ce qui ne se marche pas est la marque même du primat de la confiance. Il aspire à une union autour de l’action scolaire.

Nous l’avons interrogé sur plusieurs questions et en particulier sur la question du fonds de soutien aux communes.

Pas de garantie. Il explique que le Premier ministre examine l’équation budgétaire, est favorable à la pérennisation du fonds de soutien mais demande à ce que ce que cela soit vérifié. Il souhaiterait qu’un guichet unique soit organisé avec la CNAF.

Sur la question des transports scolaires, sa réponse est que les transports scolaires se sont adaptés à des situations hétérogènes sur le territoire et que le retour possible à la semaine de quatre jours pourra également être traité par les services de transport scolaire comme cela l’était antérieurement.

Sur la dérogation pour le samedi matin, il ne voit aucune raison de s’opposer à la dérogation. Il est possible de travailler le samedi matin.

Sur la question des devoirs faits, c’est le chef d’établissement qui recrutera les assistants ou les associations qui effectueront l’accompagnement.

Pour lui, tout doit être traité au niveau de l’établissement et pas au niveau du ministère.

Il insiste sur son sens du long terme et est favorable à trouver des lignes de continuité.

Il cite par exemple la lutte contre le décrochage scolaire initiée en 2010 et qu’il entend maintenir.

Sur la question des E.P.I., il renouvelle être favorable à la multidisciplinarité à condition que cela ne soit pas en contradiction avec l’excellence disciplinaire : en clair il priorise l’acquisition des fondamentaux.

Il sera toujours possible de faire les exercices pratiques interdisciplinaires dans un établissement mais pas au détriment des classes bilangues ou des sections européennes.

Sur la prise en compte de la mixité sociale, il entend poursuivre les expérimentations sans créer de difficultés ou de phénomènes de fuite.

Il rappelle de manière cinglante qu’une pression sur les effectifs a été constatée ces 3 dernières années vers l’enseignement privé et relève que l’enseignement privé était resté à la semaine de 4 jours !

Le monde éducatif connaît des modes et il se méfie des modes.

Il n’est pas favorable à la suppression du baccalauréat mais entend qu’il soit plus utile pour le passage en enseignement supérieur.

Il assume complètement l’idée d’une rentrée en musique dans les écoles. Pour lui ce n’est pas un sujet marginal. Il entend systématiser les chorales dans les écoles, encourager les pratiques instrumentales ou l’accès aux concerts. Pour lui cette approche n’est ni bizarre ni insolite.

Elle n’est pas bizarre puisqu’elle est par exemple pratiquée par nos voisins allemands.

Il nous a enfin expliqué qu’il ne voulait rien changer sur la pause méridienne, qu’il entendait au titre de la lutte contre les inégalités favoriser la scolarisation des moins de 3 ans et enfin qu’il poursuivrait une action en faveur du handicap au fur et à mesure des moyens financiers. Il évalue le besoin à 8000 contrats aidés pour accompagner les enfants handicapés.

En résumé une audition intéressante, stimulante, sans langue de bois.