Rapport sur la judiciarisation de la vie publique

Est-ce que l’action publique est efficace ?

Que peuvent aujourd’hui les femmes et hommes politiques ?

Cette question trouble beaucoup nos concitoyens. Ils ont le sentiment, à tort ou à raison, que le politique est aujourd’hui dépossédé de son pouvoir de décision et que sa place a été prise par les juges nationaux et européens.

A la lecture des commentateurs politiques, ce serait ll’une des causes de la défiance des citoyens vis-à-vis du monde politique et de la diminution de la participation électorale.

Les juridictions ont un rôle considérablement renforcé.

D’une part la loi n’est plus la norme juridique suprême. Elle peut être contestée ou annulée à travers le contrôle de constitutionnalité qui s’est renforcé avec la réforme de 2008 créant la question prioritaire de constitutionnalité.

Une disposition venant d’être adoptée par le Parlement peut avant sa promulgation être contestée devant le Conseil Constitutionnel par la saisine de 60 parlementaires. Des dispositions législatives applicables depuis des décennies dans notre système juridique peuvent être contestées par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité.

Le juge administratif a de multiples moyens d’action.Il peut par exemple être saisi en référé. C’est par le biais du référé que le Conseil d’État a été pendant deux ans l’arbitre des libertés dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

Bien entendu le juge est d’autant plus présent que le Parlement l’est moins.

Vous m’avez souvent lu sur le thème de l’affaiblissement du Parlement, menant à titre personnel un combat pour que le Sénat joue au maximum son rôle de « contre-pouvoir ».

Et enfin dans beaucoup de domaines se déroule un contrôle dit de conventionnalité permettant à la Cour de Justice de l’Union Européenne (Strasbourg) d’écarter ou non telle disposition, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Strasbourg) ayant le même pouvoir pour tout ce qui concerne les libertés.

Par extension la CEDH gère aujourd’hui ou influence directement a minima pratiquement tous nos sujets de société.

Derrière tous ces mécanismes il n’y a aucun complot, bien au contraire. Ce sont les citoyens qui saisissent eux-mêmes les juridictions. Les juridictions ne s’auto-saisissent pas.

De même, les juridictions pénales sont amenées à traiter de nombreuses situations justement parce que le citoyen « va chercher » le juge pénal pour vérifier si tel ou tel élément serait irrégulier.

Le débat  origine de la Constitution de 1958 quant au fait de savoir si les juridictions sont une autorité ou un pouvoir me parait complètement dépassé. Pour notre Constitution les juges sont une autoritédans la réalité ils sont devenus un pouvoir au même titre que l’exécutif ou le pouvoir législatif.

Nous sommes dans un système d’interaction entre les pouvoirs qui relève à mon sens beaucoup plus d’un système hybride que de la séparation des pouvoirs telle que définie par Montesquieu.A mon sens la séparation des pouvoirs est largement fictive du moins tant qu’exécutif et législatif ne font qu’un.

J’ajoute que cette montée en puissance des juridictions correspond à un approfondissement de la protection des droits fondamentaux et à ce que l’on appelle aujourd’hui l’État de droit.

Dans les démocraties modernes cet État  de droit vise à ce qu’il ne puisse pas y avoir de dictature des majorités. Ceci est  une protection donnée à chacun de nous.

L’évolution est telle en Europe et dans le monde qu’il ne faut pas regretter que des moyens supplémentaires soient mis à disposition des démocraties modernes pour défendre ce standard de liberté que nous appelons aujourd’hui l’État de droit.

Finalement cet État de droit doit-il être considéré comme une protection ou une amélioration ou au contraire comme un élément mettant en cause l’efficacité de l’action publique ainsi que l’autorité de la décision ?

C’est l’ensemble de ces thèmes dont mes collègues du Sénat m’ont confié l’étude à travers un rapport d’information intitulé «judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel».

Ce titre « du dialogue plutôt que le duel » résume bien mon analyse du sujet.

Je crois que dans une démocratie moderne la conciliation entre l’efficacité de l’action publique et la protection des libertés est non seulement souhaitable mais une exigence. Elle ne peut pas se faire dans un schéma ou un pouvoir veut l’emporter sur les autres pouvoirs.

Cela suppose un dialogue entre les trois pouvoirs. Pour qu’il y ait un dialogue, il convient qu’il y ait des espaces de dialogue et notre pays a probablement un certain nombre de retards dans ce domaine.

J’espère que vous pourrez prendre de l’intérêt à lire ce rapport qui a concentré mes activités à la fin de 2021 et sur le premier trimestre de 2022.

C’est un sujet qui concerne le fonctionnement de nos institutions et je suis convaincu que plusieurs des propositions que je formule dans ce rapport se retrouveront dans le débat institutionnel que nous annonce le Président de la République dans le cadre de son nouveau quinquennat. En particulier la notion d’ « identité constitutionnelle de la France »  émerge comme centrale pour les années qui viennent dans la fixation du curseur entre souveraineté de la Nation et souveraineté de l’Union européenne.