Egalim II : comment protéger la rémunération des agriculteurs ?

Le 22 septembre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger la rémunération des agriculteurs, aussi appelée Egalim II. Députés et Sénateurs sont parvenus à un compromis qui reprend l’essentiel des avancées proposées par le Sénat. Cette nouvelle loi fait suite à la première loi Egalim, qui n’avait pas tenu ses promesses... En attendant Egalim III

Philosophie de la proposition de loi

La proposition de loi Egalim II vise à corriger les lacunes de la première loi Egalim. Votée en 2018, la première loi Egalim avait pour objectif de rééquilibrer les rapports entre producteurs et distributeurs afin d’augmenter les revenus des agriculteurs. Or, cette loi n’a pas tenu ses promesses en termes de rémunération pour les agriculteurs. Le ruissellement attendu n’a pas été au rendez-vous. Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a d’ailleurs reconnu qu’elle avait « montré ses limites », évoquant « des dérives à la fois chez des industriels et des distributeurs ».

Egalim II tend donc à renforcer la construction du prix « en marche avant », c’est-à-dire de l’amont vers l’aval, en garantissant que les matières premières agricoles ne fassent pas l’objet de négociations aux différents stades de la chaîne de production (partant du principe que quand elles sont négociées, c’est à la fin l’agriculteur qui écrase ses prix et ses marges). Elle vise notamment à :

  •     généraliser le fait de recourir à un contrat écrit lorsqu’un producteur agricole (éleveur laitier, de bovin, etc.) vend un produit à un acheteur agricole, afin de prendre en compte, pour la détermination du prix dans le contrat, différents indicateurs de référence dont celui de coût de production. En outre, le contrat contiendrait désormais une clause de révision automatique des prix, qui permettrait par exemple à l’agriculteur de répercuter les hausses de coûts qu’il affronte, auprès de l’aval ;
  •     réglementer différemment les négociations commerciales entre l’industriel et la grande distribution. Pour ce faire, il est prévu que l’industriel affiche dans ses conditions générales de vente la part que les matières premières agricoles représentent dans le volume du produit alimentaire et dans son tarif. Différentes options s’ouvrent à lui pour afficher cette part. Il est prévu également que cette part ne soit pas négociable lors de la négociation commerciale afin de « sanctuariser » la matière première agricole.

Un texte sensiblement enrichi au Sénat

Au cours de cet examen, le Sénat a simplifié, rééquilibré et élargi le texte initial pour améliorer la rémunération des agriculteurs en s’assurant qu’ils ne soient pas les victimes collatérales des négociations entre industriels et distributeurs. Le texte de l’Assemblée nationale ne corrigeait que partiellement les défauts de la loi EGalim I.

Nous avons souhaité éviter que les agriculteurs aient vécu un quinquennat blanc en matière de soutien à leur revenu. Or la version initiale de cette proposition de loi, bien qu’animée de bonnes intentions, courait le risque, comme la loi Egalim, de susciter beaucoup d’espoirs déçus ; nous l’avons donc musclée et simplifiée, pour que le texte final ait de réels impacts« .

Sophie Primas, Présidente de la Commission des Affaires Economiques

Généralisation des contrats écrits : des possibilités de dérogation accrues

Le Sénat a clarifié la possibilité pour le pouvoir règlementaire d’exonérer certains petits producteurs agricoles de la contractualisation écrite rendue obligatoire. L’article 1 prévoit la généralisation de contrats écrits. Une proposition de contrat émanant de l’agriculteur doit servir de base à la négociation, en s’appuyant sur différents indicateurs de référence, comme le coût de production ou le prix de marché. Le Sénat a souhaité élargir la possibilité d’exemption pour les filières et même les exploitations qui ne seraient pas favorables à ce dispositif, via une concertation avec les organisations interprofessionnelles concernées.

Il a aussi souhaité empêcher la double peine pour un producteur en cas de non-respect des volumes contractuels en raison d’aléas climatiques.

Un dispositif de sanctions pour ceux qui ne respecteraient pas la clause du « tunnel de prix »

La PPL prévoit l’expérimentation d’un « tunnel de prix », visant à fixer dans les contrats des bornes minimales et maximales entre lesquelles le prix convenu pourra varier. Le Sénat a prévu des sanctions en cas de non utilisation d’un tunnel de prix dans les secteurs pour lesquels un décret aura imposé l’utilisation d’une telle clause.

Transparence et sanctuarisation du prix de la matière agricole 

L’article 2 vise à fixer davantage de transparence quant au coût d’achat des matières premières agricole et à sanctuariser leur prix lorsqu’au moins 25 % de ces matières premières rentrent dans la composition d’un produit alimentaire. Sur ce point, les sénateurs ont souhaité rééquilibrer le rapport de force à l’avantage du fournisseur en modifiant ses possibilités d’affichage dans les conditions générales de vente. La durée des négociations commerciales passe de deux à trois mois. Le dispositif de non-négociabilité est borné, de manière à s’assurer que certains produits alimentaires – par exemple une ratatouille composée de nombreux légumes, mais dont aucun ne représenterait plus de 25 % de la composition – soient bien pris en compte.

L’accord conclu en commission mixte paritaire satisfait la volonté sénatoriale qu’un maximum de matières premières agricoles soient couvertes par le principe de non‑négociabilité. Ce dernier s’appliquera donc à tous les produits alimentaires, indépendamment du volume des différents ingrédients.

Encadrer les produits alimentaires vendus sous marque de distributeur

Le texte du Sénat créé un régime d’encadrement des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur, qui étaient exemptés jusqu’à aujourd’hui d’indicateurs et de clauses automatiques de révision des prix. Ces produits représenteraient jusqu’à un tiers des rayons des surfaces commerciales. Un amendement adopté par la commission prévoit dorénavant pour ces produits une révision automatique des prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole. Le distributeur devra également s’engager auprès du fournisseur sur un volume prévisionnel de denrées qu’il souhaite acheter, et justifier tout écart avec cet engagement.

Cet encadrement inédit des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD) est maintenu dans le texte final, ce qui permet d’associer l’ensemble du secteur agroalimentaire à la poursuite de l’objectif d’une meilleure rémunération des agriculteurs.

Les parlementaires se sont également mis d’accord, à l’initiative du Sénat, pour expérimenter l’exclusion de certaines filières de fruits et légumes du relèvement du seuil de revente à perte mis en œuvre depuis Egalim 1. Son impact négatif en matière de rémunération agricole a en effet été démontré dans un rapport récent de la Haute assemblée.

Etiquetage de l’origine

Enfin, la PPL renforce dans la loi française, en conformité avec le droit européen, la régulation de l’étiquetage de l’origine, en inscrivant clairement l’affichage obligatoire de l’origine de l’ingrédient primaire d’une denrée alimentaire, si l’origine de la denrée est différente.

  • Tromperie du consommateur lorsque figure un symbole représentatif de la France sur un produit alimentaire dont les ingrédients primaires n’ont pas une origine française

Cet article vise à considérer comme une pratique commerciale trompeuse le fait d’afficher un drapeau français ou tout autre symbole équivalent sur une denrée alimentaire dont l’ingrédient principal n’a pas une origine française.

Sur ce point, la commission a privilégié l’efficacité aux déclarations d’intention. « Le Sénat ne doit pas voter de dispositions clairement contraires au droit européen » a rappelé la rapporteure Anne-Catherine Loisier. Afin d’être concret et rapide dans la réponse aux abus d’étiquetage, la commission a privilégié la transcription du droit européen.

La commission a donc choisi de ne pas modifier, une nouvelle fois, l’arsenal juridique mais de renforcer considérablement les contrôles en matière de tromperie sur l’origine des produits alimentaires, en forçant le Gouvernement à rendre compte annuellement de ses actions en la matière.

Encore une fois, le compromis trouvé en CMP reprend les apports du Sénat sur l’affichage de l’origine des produits, notamment afin de le rendre conforme au droit européen.

Enfin, le rééquilibrage du rapport de force entre l’industrie agroalimentaire et la grande distribution que le Sénat avait proposé, est maintenu. Les pénalités logistiques sont ainsi fortement encadrées et le principe de non‑discrimination tarifaire est étendu à un plus grand nombre de produits. La clause de renégociation des prix en fonction de l’évolution de coûts comme l’énergie, le transport ou les emballages, particulièrement utile pour renforcer la sanctuarisation de la part des matières premières agricoles, a été reprise également.

Pour desserrer l’étau sur les agriculteurs en amont, il importe que le rapport de force en aval, entre industriels et distributeurs, soit rééquilibré. Or il y avait plusieurs absents dans ce texte : les pénalités logistiques n’étaient pas traitées, les produits vendus sous marque de distributeur (MDD) non plus alors qu’ils représentent 30 % des rayons, et trop peu de matières premières agricoles étaient « sanctuarisées ». En outre, le déséquilibre était accentué par le fait que désormais, les fournisseurs auraient eu à dévoiler leurs marges aux distributeurs. Nous avons donc créé un cadre règlementaire clair et étoffé qui corrige ce déséquilibre tout en consacrant la transparence et la protection des matières premières agricoles.

Anne-Catherine Loisier, rapporteure

Une mise en œuvre qui devra faire ses preuves

Comme son aînée, cette proposition de loi présente quelques faiblesses. Il s’agit d’un texte technique dont on même les spécialistes ont du mal à appréhender les conséquences. Cette deuxième proposition de loi est pétrie de bonnes intentions mais nul ne sait quel peut être le résultat ou si elle peut entraîner d’éventuelles incitations aux importations.

Avec cette loi, tous espèrent redonner de la valeur au produit et une rémunération plus juste à l’agriculteur, mais cette proposition de loi ne constitue qu’une étape dans la nécessaire régulation des relations commerciales. 

Je suis personnellement très sceptique quant à la capacité de faire « bouger » le niveau des prix sur les marchés internationaux d’une part, par des mesures administratives et d’autre part, par des mesures franco-françaises.

Imaginer que le monde tourne autour de la France me semble une grave illusion.