PJLO : Election du Président de la République

C’est un texte qui n’aurait pas dû faire de vagues et être adopté sans difficulté. C’était sans compter sur un amendement du gouvernement déposé au tout dernier moment au Sénat, visant à autoriser un « vote anticipé » au moyen de machines à voter dans quelques communes, dont la liste n’a pas été dévoilée par le Gouvernement. Le Sénat a sèchement rejeté l’amendement par 321 voix contre 23.

Ce projet de loi organique (PJLO) vise à actualiser (comme c’est le cas avant chaque élection présidentielle) la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 qui encadre l’élection du Président de la République et rend applicables certaines dispositions du code électoral pour ce scrutin.

Il comprend ainsi des mesures techniques concernant les opérations préparatoires au scrutin présidentiel de 2022, les règles de financement de la campagne électorale, le vote par correspondance des détenus ou encore l’actualisation de la grille de lecture du Code électoral.

Il sécurise, à titre subsidiaire, la composition des commissions de contrôle qui veillent à la régularité des listes électorales des Français de l’étranger.

L’amendement déposé tardivement par le gouvernement prévoit que le vote par anticipation aurait lieu « à une date fixée par décret, durant la semaine précédant le scrutin » et serait effectué sur des machines à voter, dont les suffrages seraient « dépouillés en même temps que les autres bureaux de la commune, afin d’éviter les risques de fraude ou d’influence sur le vote des autres électeurs« .

Une entrée en vigueur différée au plus tard au 1er janvier 2022 permettrait de prévoir les mesures d’application de ce dispositif et de ne pas l’appliquer en cas d’élection anticipée due à une vacance de la présidence.

Une opposition ferme de la part des sénateurs

Sur la forme, la commission des lois a estimé inenvisageable de modifier aussi radicalement les règles de l’élection présidentielle par un amendement déposé in extremis à la fin de la navette parlementaire, sans que ni les forces politiques ni le Conseil d’État aient été appelés à se prononcer.

Sur le fond, elle a considéré que l’amendement du Gouvernement était de nature à alimenter la suspicion sur la sincérité de l’élection présidentielle et à remettre en cause la légitimité du président élu. Les machines à voter, en effet, sont soumises à un moratoire depuis 2008 : seules 66 communes en sont équipées, le Gouvernement interdisant aux autres communes d’acquérir des machines à voter.

J’ai personnellement rejeté avec fermeté cet amendement.

« Notre société est un concentré de défiance, elle en est même malade. L’amendement en rajoute encore, tant les machines à voter ne sont pas acculturées à notre vie démocratique. Cet amendement abracadabrantesque a toutefois le mérite de souligner le malaise institutionnel résultant de la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif ».

Philippe Bonnecarrere

Les Sénateurs ont aussi souligné les écarts entre urbains et ruraux que cette mesure engendrerait « J’habite dans l’Oise. Si le bureau de vote est à Beauvais, l’électeur de Crépy-en-Valois vit à 100 kilomètres. Pensez-vous qu’il fera 200 kilomètres aller-retour pour aller voter ? Qui allez-vous privilégier ? Les urbains ! Les ruraux ont l’habitude d’être méprisés mais ils en ont assez. Souvenez-vous des “gilets jaunes” ! » a déclaré le Sénateur Olivier Paccaud.

Le Conseil constitutionnel a alerté les pouvoirs publics à de nombreuses reprises sur les risques de fraude liés à l’utilisation des machines à voter, notamment après l’élection présidentielle de 2007, de même que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Il convient donc d’abord de sécuriser les machines à voter, avant de les étendre aussi massivement pour l’élection du Président de la République.

Des solutions beaucoup plus simples ont pourtant fait leur preuve : chaque électeur « empêché » peut se rendre en gendarmerie ou au commissariat de police pour établir une procuration. Dès le 1er janvier 2022, il sera possible de confier à sa procuration à tout électeur de confiance, y compris lorsqu’il réside dans une autre commune.

En outre, l’organisation d’un vote anticipé avant la fin de la campagne électorale, comme le propose le Gouvernement, soulève une objection de principe, puisqu’un électeur ayant voté par anticipation ne pourrait plus modifier son vote, quand bien même il le souhaiterait à la lumière de nouvelles informations. Ainsi, la candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine de 2016, Hillary Clinton, n’a été définitivement innocentée dans « l’affaire des courriels » que quelques jours avant le scrutin, alors que les électeurs avaient déjà commencé à voter par anticipation.