Néonicotinoïdes et betteraves : le choix cornélien

Mardi 27 octobre 2020, le Sénat a adopté,  par 184 voix pour et 128 contre le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Vous avez été nombreux à me questionner sur ce sujet, à l’occasion du lancement de la nouvelle rubrique de votre newsletter « La question du mois ».

Quel est l’objet de ce projet de loi ?

Ce projet de loi permet des dérogations exceptionnelles à l’interdiction prévue à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, afin d’autoriser seulement la filière betteravière à utiliser des semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes.

Ces dérogations sont strictement encadrées jusqu’au 1er juillet 2023, dans l’attente de l’émergence d’une combinaison d’alternatives chimiques et non chimiques permettant de ne plus recourir à ces substances.

Les néonicotinoïdes sont, en effet, interdits depuis 2018, suite à la loi sur la biodiversité votée en 2016. La loi sur la biodiversité autorisait des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes jusqu’au 1er juillet 2020, un nouveau texte de loi s’avèrait donc nécessaire pour maintenir les dérogations.

Il ne s’agit pas donc pas de revenir en arrière en réautorisant un usage général de ces produits.

Je ne pense pas que quiconque ait à gagner à une régression (écologique) dans ce domaine. J’ai d’ailleurs voté l’interdiction en 2016 à effet de 2018.

Philippe Bonnecarrère

La filière de la betterave dans l’impasse

Comme l’ont rappelé le Ministre de l’agriculture et la Présidente de la Commission des Affaires économiques, en séance, cette année le puceron vert s’est attaqué aux plantations de betterave, menaçant toute la filière sucrière française soit 46 000 emplois directs.

La baisse des rendements est de l’ordre de 15 % à 20 %, allant jusqu’à 50 % dans certains territoires. Les pertes de rendement sont évaluées à l’équivalent de 1 000 euros par hectare.

Les programmes de recherche visant à remplacer les néonicotinoïdes interdits en 2018 sont prometteurs mais n’ont pas encore abouti.

Dans un avis de 2018, l’ANSES a estimé puisqu’aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’avait été identifiée pour faire face aux infestations, une alternative chimique pouvait être mobilisée par les producteurs de betteraves.

Pour la récolte 2021, les producteurs sont dans l’impasse, seule une dérogation autorisant l’enrobage des semences par des néonicotinoïdes est envisageable. 12 pays sur 14 pays européens producteurs de betterave ont déjà adopté des dérogations, notamment l’Allemagne et la Belgique.

« Il ne faut pas caricaturer le débat de façon injuste. On peut reprocher aux chercheurs de ne pas encore avoir trouvé de solutions parfaites mais la recherche progresse. La crise de la jaunisse de la betterave cette année est liée à des conditions météorologiques extrêmes. Ce qui avait fonctionné en 2019 n’a pas suffi en 2020. Remplacer une molécule chimique très efficace prend du temps mais nous allons trouver des moyens de faire reculer le risque de manière acceptable avec la sélection de betteraves plus résistantes aux virus et des solutions de biocontrôle. Perdre 40 % de la production une année cela n’est pas tenable. On devrait réduire ce risque à un niveau plus faible dans les trois ans avec le programme de recherche du Ministère de l’Agriculture. »

Philippe Mauguin, Président de l’INRAE (Institut de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).

Une décision qui devrait plutôt intervenir à l’échelle européenne

Notre pays peut parfaitement refuser de produire des betteraves sucrières sans néonicotinoïde mais le résultat est évident : nous allons consommer du sucre produit avec des néonicotinoïdes par nos voisins ! Ce serait d’ailleurs la situation la moins pire puisque dans la réalité ce sont les Brésiliens qui viendront combler notre retrait du marché. Pour moi, c’est un sujet qui doit être traité à l’échelle européenne.

Philippe Bonnecarrère

Le projet de loi crée par ailleurs un conseil de surveillance chargé d’assurer le contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances . Il est composé de quatre députés et de quatre sénateurs.

Le Sénat a modifié le texte pour :

  • acter dans la loi le principe « pas d’interdiction sans alternative », dans des conditions pragmatiques. Ainsi le principe d’étude préalable des alternatives par l’ANSES devient obligatoire, en amont aux interdictions de produits phytopharmaceutiques.
  • interdire l’importation de denrées alimentaires ne respectant pas les normes minimales requises sur le marché européen. Un amendement jugé contraire au droit européen selon le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie.

Ce texte s’inscrit dans un plan plus global qui prévoit 7 millions d’euros pour renforcer la recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes.

Un plan pollinisateur devrait voir le jour d’ici à la fin de l’année.

Je reconnais volontiers qu’il aurait été plus pertinent de présenter d’abord des propositions tendant à favoriser la nourriture des abeilles sur nos territoires, entre le printemps et le début de l’été, plutôt que de commencer par la dérogation sur les betteraves.

Quel risque de généraliser la dérogation à d’autres productions?

Autant je ne me sens moralement pas apte à priver de nombreuses personnes de leur outil de travail ou gagne- pain, autant je ne suis pas prêt à accepter un retour généralisé des néonicotinoïdes.

Philippe Bonnecarrère

Je suis convaincu que le parcours législatif de ce sujet n’est pas terminé. Nous risquons pourtant de retrouver assez vite ce débat. Si l’autorisation de l’utilisation de néonicotinoïdes, même temporaire et conditionnelle, est acceptée pour les betteraves, il est possible que le Conseil Constitutionnel censure un traitement contraire à l’égalité. Les producteurs de noisettes, de cerises… expliquent en effet qu’ils ont les mêmes problèmes.

Si  le Conseil Constitutionnel censure, nous n’aurions alors que la solution d’accepter une utilisation certes temporaire mais généralisée ou de refuser en bloc le retour des néonicotinoïdes.

Dans une telle situation,  je serai amené à voter contre une dérogation généralisée.

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