Vifs débats autour de l’état d’urgence sanitaire

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Face au rebond de l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement a décrété le 14 octobre le retour de l’état d’urgence sanitaire. Dans le même temps, il a présenté un projet de loi qui prolonge l’état d’urgence jusqu’au 16 février 2021. Le Parlement va donc se prononcer dans les prochains jours sur un texte qui donne de nouveaux pouvoirs à l’exécutif.

Un débat devant la représentation nationale

Deux conseils de défense ont eu lieu les 27 et 28 octobre. L’exécutif entend enfin en débattre devant la représentation nationale. Un débat au nom de l’article 50-1 de la Constitution, sera organisé jeudi 29 octobre devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Selon l’article 50-1, le débat peut « faire l’objet d’un vote sans engager la responsabilité » du gouvernement.

Le dispositif de l’état d’urgence

Le dispositif exceptionnel de l’état d’urgence a en effet de nouveau été déclaré par un décret du 14 octobre 2020, à partir du 17 octobre pour un mois. Il a permis d’instaurer un couvre-feu dans plusieurs métropoles. Pour qu’il puisse s’appliquer au-delà du 16 novembre 2020, comme le souhaite le gouvernement, le Parlement doit donner son accord.

C’est l’objet du projet de loi que nous avons examiné hier en commission des Lois et dont nous discuterons demain en séance, après le débat de l’article 50-1. Le gouvernement veut prolonger l’état d’urgence sanitaire de trois mois, soit jusqu’au 16 février 2021 inclus, sur l’ensemble du territoire national. Le conseil scientifique Covid-19 a déjà, dans son avis du 19 octobre 2020, donné un avis favorable.

Le projet de loi prolonge également le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021. (Ce dispositif mis en place le 11 juillet était autorisé jusqu’au 30 octobre 2020.)

Ce régime transitoire prendra le relais lorsque l’état d’urgence sanitaire cessera. Il a déjà permis au Premier ministre et aux préfets de prendre certaines mesures depuis le mois de juillet (limitation des rassemblements, fermeture d’établissements recevant du public, port du masque…)

De la même façon, le texte prolonge jusqu’au 1er avril 2021 SI-DEP et Contact Covid, deux outils informatiques autorisés initialement jusqu’au 10 janvier 2021 pour faciliter le suivi des malades et le traçage des contacts. D’autres tests et examens que les tests dit « RT-PCR » pourront être intégrés dans ces fichiers. Divers professionnels de santé, comme les pharmaciens, pourront les renseigner. L’action des organismes qui assurent une mission d’accompagnement social des personnes touchées par l’épidémie sera sécurisée. Les données collectées dans le cadre de ces systèmes pour la recherche et « pseudonymisées » seront aussi concernées par cette prolongation.

Les projets du gouvernement en matière d’état d’urgence posent des problèmes très sérieux. Je commencerai par évoquer deux sujets importants mais pas essentiels (le recours aux ordonnances et le régime dit de sortie de l’état d’urgence sanitaire).

Un recours aux ordonnances inquiétant

Le gouvernement demande, en outre, une habilitation au Parlement afin de procéder par voie d’ordonnances pour rétablir ou prolonger des dispositions prises par ordonnances lors de la première vague de l’épidémie. Ces ordonnances devraient concerner les domaines suivants :

  • aides aux entreprises, commande publique, paiement des loyers et factures des entreprises, chômage partiel, droit du travail (prolongation et renouvellement des CDD, des contrats de recherche, congés payés…) ;
  • délais pour les démarches administratives, expulsion locative, procédure pénale, concours administratifs, prolongation de la durée des titres de séjour, protection sociale des Français de retour de l’étranger ;
  • délibérations des collectivités locales.

Si nécessaire, ces ordonnances pourront être prises de façon « territorialisée ».

A titre de rappel, la première loi d’urgence sanitaire avait conduit à 57 habilitations à légiférer par ordonnances portant sur des pans entiers du droit  : décaler le second tour des municipales ou décider de mesures économiques d’urgence…

La deuxième loi d’urgence sanitaire a entraîné le recours à 10 ordonnances, alors qu’une quarantaine était prévue à l’origine.

Ce recours massif aux ordonnances prive le Parlement de son pouvoir de contrôle et de co-production de la loi.

Je crains que ceci ne fasse deux victimes : le Parlement qui donne un chèque en blanc et renonce à ses responsabilités et l’exécutif qui aura tous les leviers entre ses mains mais qui, faute de partager la décision avec les parlementaires, s’expose à la défiance.

Pourquoi dans notre pays, seule l’administration et l’exécutif seraient en mesure de lutter contre cette pandémie ? 

Philippe Bonnecarrère

Est-ce que cette crise de la pandémie ne met pas le doigt sur ce mal français de la mainmise de l’exécutif et de l’administration ?

Le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire

En sus de l’état d’urgence sanitaire, notre pays s’est mis à pratique un deuxième système qui est celui du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Nous avons été en état d’urgence de mars à juillet, en régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire de juillet au 16 octobre, et il nous est proposé d’y retourner à partir du 17 février 2021.

Ce régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire est un état d’urgence déguisé ! Nos concitoyens vont finir par ne plus s’y retrouver du tout. La commission des Lois proposera de supprimer ce régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Philippe Bonnecarrère

Notre idée est soit d’être sous état d’urgence sanitaire ou non, ce qui est une situation clairement d’exception ou d’être dans un régime de droit commun, quitte à vérifier que les bons outils en font partie.

La question essentielle est pour moi double : Peut-on continuer à mettre le Parlement et d’une certaine manière la démocratie « en mode pause » ? Est-ce que nous n’allons pas trop loin dans le chèque en blanc donné à l’exécutif par le biais de l’état d’urgence ?

Philippe Bonnecarrère

Je considère que ce recours répété à l’état d’urgence va trop loin et qu’il ne peut pas être un chèque en blanc.

Plus exactement, l’analyse des pouvoirs du gouvernement dans une situation normale montre qu’il peut prendre des mesures par exemple, de limitation des déplacements mais qu’il ne peut pas ordonner un couvre-feu généralisé et à 46 millions de français sous ce régime, nous sommes bien devant un couvre-feu généralisé.

A ce titre, je ne vois pas d’autres solutions que d’accepter un état d’urgence limité.

Par contre, ce ne peut pas être un chèque blanc et d’autre part, nous devons à nos concitoyens un bilan avantages et inconvénients des mesures prises.

Nous ne sommes que 4 jours après le couvre-feu et déjà nous avons une surrenchère entre les épidémiologistes et les chaînes d’information continue pour aller à un reconfinement même si nous n’avons pas de retour sur l’efficacité du couvre-feu.

Le reconfinement doit être vu globalement : je ne conteste pas son intérêt sanitaire, mais dans la balance avantages et inconvénients, force est de constater qu’il pose des problèmes majeurs.

C’est une déshumanisation de notre société avec des aînés qui ne peuvent plus voir leurs enfants et petits-enfants, des malades qui sont privés des opérations prévues, des patients privés de détection ou de contrôle. Bien entendu, les conséquences psychologiques, économiques et sociales sur notre pays sont énormes. Je n’arrive pas à croire que notre pays va « pouvoir tenir le coup ». Tout ceci se produit au moment où notre société aurait besoin d’être très forte face au terrorisme, « aux bruits de bottes à travers le monde », avec en particulier, la situation face à la Turquie ou du moins à M. Erdogan.

En conclusion, c’est tout le sens de l’amendement que je vais défendre, avec d’autres et en particulier le soutien du groupe centriste, pour limiter les pouvoirs du gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence et l’obliger à revenir devant le parlement pour son accord, s’il décidait de reconfiner.

Je ne considère que nous ne pouvons pas le lui interdire à priori, mais que nous pouvons l’obliger à demander l’accord préalable du parlement s’il voulait reconfiner au-delà d’une durée de douze jours.