La question du droit d’asile est l’une des plus délicates. Il faut sortir d’un débat entre le bien et le mal, entre le blanc et le noir. Le législateur va avoir à intervenir en deux temps. Je vous présente dans cet article la première étape destinée à combler un point faible dans la mise en œuvre de la convention dite de Dublin (Dublin III).
Vous lirez dans un article à part mes premières analyses sur la question plus générale du droit d’asile pour laquelle nous attendons un texte du Gouvernement pour le printemps qui fait l’objet d’un vif débat public. J’aurai vocation à suivre pour mon groupe et au titre de la Commission des Lois les deux textes.
La proposition de loi dite WARSMAN déjà acceptée par l’Assemblée Nationale a fait l’objet d’un accord de la part de notre Commission des Lois le 17 janvier et nous l’examinons en séance ce 25 janvier.
De quoi s’agit-il ? Le règlement dit de Dublin (actuellement Dublin III) est le fruit d’un accord de Tempéré datant de 1999. L’idée avait été d’organiser de manière coordonnée le droit d’asile avec l’objectif qu’un seul pays soit en situation de responsabilité. Cet accord n’est pas issu des institutions européennes ou des traités européens. Il s’agit d’un accord multilatéral qui concerne aujourd’hui 32 États, à savoir les 28 Etats de l’Union Européenne, mais également la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein.
Comment fonctionnent les choses ? Lorsqu’un migrant entre dans l’un des 32 États signataires, il doit être enregistré sur des bornes dites EURODAC qui constituent en réalité un système européen centralisé des données nominatives mais aussi des empreintes digitales.
A partir du moment où la personne est enregistrée dans le pays d’arrivée, elle doit effectuer une demande d’asile, si elle souhaite en formuler une, dans ce même pays. Elle n’a pas la possibilité de le quitter et se trouve en situation irrégulière si elle est amenée à se déplacer dans l’un des 31 autres États.
Concrètement pour un migrant qui arrive en Italie, ses coordonnées sont saisies en Italie. S’il est contrôlé en France, il se trouve en situation irrégulière et doit être renvoyé en Italie. Cela suppose préalablement l’établissement d’une autorisation de transfert qui est demandée au pays dit responsable. Celle-ci est soumise à un certain nombre de critères.
Pourquoi ce système ne fonctionne -t-il plus depuis début 2018 ?
Deux explications très différentes peuvent être données et sont probablement complémentaires.
La première tient au fait que le régime Dublin dysfonctionne avec les volumes à traiter. L’augmentation des flux migratoires est une réalité soit pour des motifs économiques, de guerre dans les pays d’origine à l’exemple de l’Irak ou de la Lybie ou encore de la Syrie, soit de crises gravissimes dans des pays dont la gouvernance échappe à tout bon sens à l’exemple du Soudan ou de l’Erythrée.
La pression est donc très forte sur les pays d’arrivée qui sont en pratique l’Italie et la Grèce. La situation de la Grèce a été soulagée avec l’accord intervenu entre l’Union Européenne et la Turquie. Cet accord est très décrié pour des raisons morales, au regard de l’évolution du régime Turc. Force est de reconnaître que l’accord fonctionne et que la Turquie ne laisse plus passer de migrants vers l’Union Européenne. Ce pays fait un effort considérable puisqu’il a au minimum à l’heure présente 3 à 4 millions de réfugiés sur son territoire et qu’il les accueille dignement.
La situation italienne n’a pas par contre reçu de solution puisque les déplacements vers l’Italie se font depuis la Lybie avec les personnes qui se jettent à la mer sur de modestes embarcations ce qui conduit selon les règles maritimes en dehors des zones territoriales Libyennes à les recueillir . C’est ce que fait la marine italienne même si là également les flux ont été réduits avec une présence militaire forte des pays d’Europe à travers une opération dite Sophia qui permet notamment d’intervenir par rapport aux passeurs.
Les réfugiés arrivent soit en Sicile directement soit par l’Ile de Lampedusa. J’ai eu l’occasion de vous parler de la spécificité de cette île Italienne au large des côtes Libyennes. Je me suis rendu au « hotspot » de Lampedusa avec le Président Larcher en 2016.
Les Italiens font un travail remarquable mais le nombre de migrants est très important. Surtout la règle dite de la responsabilité du premier pays d’arrivée conduit l’Italie à supporter aujourd’hui l’essentiel de l’effort, la France concentrant son action à bloquer les accès dans la zone de Menton, Vintimille et autres, ce qui revient à laisser le problème aux Italiens.
La demande de l’Italie est d’assumer ses responsabilités mais d’obtenir des autres pays européens de partager avec eux l’effort. C’est le programme dit de relocalisation qui a fait l’objet de très vives critiques des pays de l’ex Europe de l’Est qui refusent toute arrivée de migrants sur leur territoire.
La France a jusqu’à fin 2016 a feint de ne pas voir la situation et n’a en réalité accepté que très peu de relocalisations. Nous commençons à en prendre notre part . Ce n’est pas simplement de l’altruisme mais du bon sens que de ne pas laisser aux seuls italiens de trouver la solution d’un problème qui les dépasse.
Force est de constater que nombre de migrants soit ne fournissent pas leurs renseignements aux autorités italiennes, soit se réfugient dans la clandestinité en Italie pour tenter de rejoindre la France, l’Allemagne ou l’Angleterre. C’est ce flux de migrants qui relèverait normalement de la responsabilité du pays d’arrivée qui aujourd’hui représente une pression pour la France comme pour les pays voisins.
L’explication de l’augmentation importante de demandes de droit d’asile en 2017, qui pour la première fois a franchi la barre des 100 000 (100 412), se trouve dans ces déplacements dits secondaires par rapport au pays d’arrivée. C’est la situation des « dublinés » pour utiliser un terme technocratique.
La deuxième cause des difficultés actuelles tient à une série de décisions de justice qui ont mis en exergue les failles de la législation française sur le droit d’asile et en particulier des dispositions prises sous la précédente législature. Deux problèmes successifs sont apparus.
Lorsqu’une personne se trouve en situation irrégulière en France et que sa demande doit être par exemple établie en Italie, la logique serait de s’adresser aux autorités Italiennes et d’obtenir l’autorisation de transfert en Italie. La pratique montre que lorsque les personnes font l’objet d’une telle démarche, elles ont une forte tendance à ne pas se trouver sur leur lieu de résidence au moment d’exécuter le transfert!
La solution est soit d’assigner la personne à résidence donc d’exiger d’elle qu’elle ne bouge pas pendant une durée déterminée ,soit d’exercer une rétention qui se déroule dans des Centres de Rétention Administratifs (CRA).
Le Conseil d’État a, par une décision de 2017, estimé qu’il n’y avait pas de fondement juridique à la rétention lorsqu’elle intervenait par une décision préfectorale avant l’autorisation de transfert. Cette décision interdit « d’immobiliser » la personne pendant la période où l’autorisation de transfert est demandée, ce qui rend bien sûr en pratique très illusoire l’exécution de l’autorisation de transfert ultérieure.
La deuxième cause juridique concerne les personnes ayant déjà fait l’objet d’une autorisation de transfert. Il était possible au titre du règlement de Dublin III, à travers l’article 28, de les mettre en rétention, jusqu’à reconduction à la frontière, lorsqu’il y avait un risque de fuite et ce, en application d’un principe dit de proportionnalité. Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne de mars 2017 a jugé que chaque État devait définir, par des règles internes générales, les critères de « risques non négligeables de fuites ».
Notre Cour de Cassation, par un arrêt du 27 septembre 2017, a estimé que la loi adoptée en matière de droit d’asile sous la législature précédente ne comprenait aucune précision objective à cet égard. Ceci entraine un vide juridique et depuis cet arrêt de la Cour de Cassation, il n’est plus possible, en réalité, de mettre en rétention une personne en situation irrégulière, même après autorisation de transfert. Le système est bloqué.
L’objet de la proposition de loi en cours d’examen par le Sénat, et qui fera très certainement l’objet d’une approbation, consiste à préciser les critères permettant de mettre en rétention alors que l’autorisation de transfert n’a pas encore été obtenue (pendant la période de demande) à condition que cette période de rétention soit limitée dans le temps.
La deuxième réponse figurant dans la proposition de loi porte sur un meilleur contrôle de l’assignation à résidence afin de permettre aux Préfectures d’utiliser beaucoup plus facilement l’assignation à résidence que la rétention, mesure très lourde et qui pose aussi le problème du nombre de places disponibles dans notre pays comme l’a illustré le drame de la gare de Marseille.
La troisième réponse, qui est probablement la plus importante, consiste, dans cette proposition de loi, à définir de manière objective les critères permettant de penser qu’il peut exister un risque de fuite (rejet d’une demande de droit d’asile précédente, usage de faux papiers, refus d’enregistrement des empreintes digitales…) de manière à pouvoir de nouveau utiliser le mécanisme de rétention avant de procéder à l’expulsion effective, une fois obtenu l’accord du pays responsable ou du pays d’origine.
En terminant de vous préparer cette analyse, je suis bien conscient de la difficulté de rendre compte de problèmes techniques délicats dans un contexte humain extrêmement lourd. Nous sommes là dans les réalités , devant le miroir tendu par notre société .
Je me permets de redemander à chacun de ne pas raisonner dans un débat sur le bien ou sur le mal mais de regarder comment notre pays peut se doter des moyens techniques légaux, proportionnels permettant de mettre fin aux situations irrégulières.
J’aborde dans un deuxième article que vous retrouverez sur mon blog, la future réforme du droit d’asile , sujet sur lequel j’ai commencé à travailler il y a quelques semaines.