Irresponsabilité pénale en débat

Présenté le 19 juillet dernier, le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure est porté conjointement par deux ministres : par M. Éric DUPOND‑MORETTI, Garde des sceaux, ministre de la justice, et M. Gérald DARMANIN, ministre de l’intérieur. Le titre Ier comprend les dispositions limitant l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire. Il résulte, à l’origine, des vifs débats ayant suivis les conclusions de la Cour de Cassation dans l’affaire dite « Sarah Halimi ». Le Garde des Sceaux avait alors promis un texte permettant de revoir le régime de l’irresponsabilité pénale. Le reste du texte, autrement dit les dispositions relatives à la sécurité intérieure, est porté par le ministre de l’intérieur.

L’affaire du meurtre de Sarah Halimi en toile de fond

Le travail législatif autour de la notion d’irresponsabilité pénale a commencé quelques semaines après l’émoi provoqué par l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire du meurtre de Sarah Halimi en 2017. Pour rappel, le meurtrier avait roué de coups une sexagénaire de confession juive avant de la défenestrer. Les experts avaient conclu qu’au moment des faits, que l’auteur des faits était en proie à « une bouffée délirante aiguë« , possiblement aggravée par la prise de cannabis. Le 14 avril dernier, la Cour de cassation confirmait l’irresponsabilité pénale du meurtrier, sur la base de ces expertises. La question posée aux experts et magistrats était celle de « la frontière entre, d’une part, l’irresponsabilité pour cause d’intoxication et, d’autre part, la cause aggravante de responsabilité ».

La responsabilité pénale liée à l’intoxication volontaire

L’article 1er du projet de loi examiné au Sénat vise à limiter l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire aux substances psychoactives.

En cohérence avec les propositions de loi adoptés par le Sénat en mai dernier (voir ci-dessous), la commission des Lois du Sénat a prévu de :

  • renvoyer à la juridiction de jugement compétente le soin de statuer, avant l’examen au fond, sur l’application de l’article 122-1 du code pénal et, le cas échéant, sur la culpabilité d’une personne mise en examen, lorsque le juge d’instruction, au moment du règlement de son information, estime que l’abolition temporaire du discernement résulte au moins partiellement de son fait. Ce serait donc au tribunal correctionnel ou à la Cour d’assises et non plus au juge d’instruction comme c’est le cas actuellement, de se prononcer sur l’application de l’article 122-1.
  • de permettre de condamner à un suivi socio-judiciaire les personnes dont l’intoxication volontaire a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elles ont commis des tortures, actes de barbarie ou violences dont elles sont déclarées pénalement irresponsables  ;
  • de supprimer la possibilité, introduite par l’Assemblée nationale, de punir une personne dont l’intoxication volontaire a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un incendie dont elle est déclarée pénalement irresponsable
  • de permettre au président de la chambre de l’instruction, saisie en application de l’article 706-120 du code de procédure pénale, si l’instruction lui semble incomplète, si des éléments nouveaux ont été révélés depuis sa clôture, ou si un long délai s’est écoulé depuis l’évaluation précédent, d’ordonner l’actualisation ou le complément des expertises psychiatriques qu’il estime utiles ;
  • de permettre à la juridiction d’ordonner des mesures de soins sans consentement, sans hospitalisation complète, en cas de décision d’irresponsabilité pénale pour cause d’abolition du discernement ;
  • d’assurer la transmission de l’intégralité des rapports des experts aux parties sans qu’elles aient besoin d’en faire la demande.

L’article 2 insère dans le code pénal deux nouvelles infractions, réprimant le fait pour une personne de consommer des produits psychoactifs, comme des stupéfiants ou de l’alcool, en ayant connaissance que cette consommation était susceptible de la conduire à commettre des atteintes à la vie ou à l’intégrité d’autrui – lorsque cette consommation a provoqué un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes et sous l’empire duquel elle a commis un homicide volontaire ou des violences sur autrui.

Si ces infractions sont commises par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire en application du premier alinéa de l’article 122-1 en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique provoqué par la consommation volontaire des mêmes substances psychoactives, la peine est aggravée.

Tout en s’interrogeant sur la portée réelle de ces infractions, la commission a estimé qu’elle venait combler une lacune du droit pénal. Elle a considéré qu’au regard du caractère inédit de ces infractions, qui sanctionnent un comportement au regard de ces effets pendant une période où l’irresponsabilité pénale a été reconnue, et de la complexité de leur caractérisation, seules les infractions contre les personnes devront être l’occasion de sanctions.

Un sujet dont s’était déjà emparé le Sénat

Le 25 mai dernier, le Sénat avait examiné conjointement deux propositions de loi (PPL) :

  • La PPL tendant à revoir les conditions d’application de l’article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, déposée par ma collègue Nathalie Goulet ;
  • La PPL relative aux causes de l’irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l’expertise en matière pénale. Cette PPL déposée par M. Jean Sol, fait suite au rapport d’information « Expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger » réalisé quelques mois plus tôt au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales du Sénat.

En séance publique le gouvernement et les sénateurs s’étaient mis d’accord sur le fait de ne pas toucher à l’article 122-1 du Code pénal selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

Le texte initial de Mme Goulet proposait pourtant que l’irresponsabilité pénale ne puisse pas être déclarée « lorsque l’état de l’auteur résulte de ses propres agissements ou procède lui-même d’une infraction antérieure ou concomitante ». Mais la rapporteuse de la commission des lois a reconnu avoir changé l’orientation du texte.

L’article 1 de la PPL comportait donc une évolution. Il renvoyait devant la juridiction du fond quand « le fait fautif » du mis en examen est, au moins partiellement, la cause de l’abolition de son discernement.

« Dans le cas Halimi, si notre loi avait été votée, il y aurait eu un procès où l’auteur aurait reconnu les faits et présenté ses excuses aux victimes comme il l’a fait devant la chambre d’instruction. Mais il aurait probablement été déclaré irresponsable de la même façon. Les victimes, elles, auraient été reconnues publiquement et la Cour aurait pu rappeler publiquement que l’antisémitisme est pénalement répréhensible »

DOminique VérieN, Sénatrice