Commission d’enquête sur la Covid-19 : les alertes s’accumulent

Depuis sa constitution en juillet dernier, la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 a réalisé plus de 40 auditions. En recueillant les témoignages des professionnels de santé et d’experts, de décisionnaires et de membres du Gouvernement, les sénateurs examinent la pertinence de la réponse apportée à la crise.

Les réanimateurs alertent sur la deuxième vague

« La capacité de 12 000 est possible, en termes de lits de réanimation identifiés : ce sont les lits armés au cours de la première vague. Mais il y a un problème de personnel », a alerté le professeur Éric Maury, président de la société de réanimation de langue française, le 14 octobre dernier.

« Sans déprogrammation, je ne comprends pas très bien comment on pourra faire fonctionner ses unités de réanimation au plan du personnel. Sans déprogrammation des soins, on est à notre capacité maximale », a-t-il ajouté. « Le problème, c’est un problème de personnels. Les structures, les respirateurs, on les a« , a-t-il résumé.

Les professionnels présents à l’audition ont expliqué que pour cinq patients placés en réanimation, il faut deux infirmières, un aide-soignant et un nombre conséquent de médecins.

Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence a, elle, insisté que tout engorgement dans les services de réanimation se traduirait par des patients qui « stagnent dans les urgences », entraînant des complications et des décès.

Stratégie sur le port du masque

« Je ne fais pas de lien entre la pénurie et la doctrine sur le port du masque » a expliqué Olivier Véran devant la commission d’enquête du Sénat, le 24 septembre dernier. Revoir l’audition en vidéo ici.

« Le 6 avril 2020, alors qu’on produisait déjà des masques grand public, l’OMS, dans ses orientations provisoires, déconseillait le port généralisé du masque, considérant que ce serait contre-productif » a rappelé Oliver Véran.

« Je suis arrivé comme ministre. Le mal était fait en matière de stock de masques. Si j’avais dû dire aux Français : ‘On aurait dû vous donner des masques mais on n’en a pas’, je l’aurais dit » assure-t-il.

Le ministre a insisté sur le fait que la doctrine était inspirée des recommandations scientifiques, françaises, européennes et internationales . « Ce n’est que le 4 ou 5 juin que l’OMS a considéré que le masque grand public pouvait, sans faire consensus scientifique, être intéressant ».

« Est-ce que je regrette qu’on n’ait pas eu les stocks de masques suffisants pour protéger les soignants ? Oui, évidemment. Est-ce que, si j’avais eu 2 milliards de masques en stock, on en aurait distribué à la population ? Honnêtement, sur la base des recommandations dont on dispose, je ne vois pas pourquoi on l’aurait fait », a-t-il conclu.

La question des tests

Pour le président du syndicat des biologistes médicaux, l’objectif d’un million de tests par semaine est maintenant quasiment atteint : « Aujourd’hui un Français sur quatre qui vient dans les files d’attente, c’est pour se rassurer. Il y a des Français qui viennent plusieurs fois par semaine (…) Il faut remettre les médecins au centre du jeu. Pour qu’on puisse faire correctement notre métier » a-t-il demandé.

Selon François Blanchecotte, Président du syndicat des biologistes médicaux, l’allongement de la prise en charge des patients s’explique par les difficultés des laboratoires français dans les commandes de réactifs et des machines dans un marché mondial saturé : « les délais de nos commandes sont de trois à quatre semaines. Aujourd’hui nous n’avons pas suffisamment de matériels pour répondre à la demande mais on a surtout des publics incessants qui viennent nous voir (…) les violences se multiplient aux accueils des laboratoires » a-t-il déclaré.

« Les masques sont portés par tous et vous avez remarqué, il n’y a aucun résultat magique sur l’épidémie. Ce ne sont que des retardateurs de contaminations (…) Si on ne règle pas la question des tests en France : plus de tests, là où il en faut, plus rapide, mieux fait (…) on va progressivement remplir nos réas comme à Marseille et on reconfinera à nouveau » a mis en garde Philippe Froguel, endocrinologue et généticien.

Témoignages d’internes en milieu hospitalier

 « Plus d’un interne sur deux a été obligé de travailler malgré sa positivité », c’est la phrase choc prononcée par Justin Breysse, le Président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), devant la commission d’enquête le 15 octobre dernier.

Les conclusions des enquêtes menées par l’ISNI sont édifiantes : « Nous avons interrogé 980 internes. Les deux tiers d’entre eux nous disent n’avoir pas eu accès à du matériel de protection en quantité suffisante, masques et surblouses. La moitié des internes, 53% qui présentaient des symptômes du Covid au début de l’épidémie ont pu accéder à des tests de dépistage (…) On sait aujourd’hui que plus d’un interne sur deux, qui connaissait son statut de positif au Covid, a été obligé de travailler malgré sa positivité ! » détaille Justin Breysse.

Sur l’organisation de la répartition des internes lors de la première vague de l’épidémie, « il y a eu un retard à l’allumage. Nous avons écrit un courrier le 19 février pour être reçus par les cabinets (ministériels). Et nous n’avons eu la réponse que le 19 mars. Donc il s’est passé un mois. Un mois de latence pendant lequel nous n’avons pas eu de consignes des différentes administrations pour nous permettre de réaffecter les internes là où il y en avait besoin. Nous avons donc décidé de prendre l’initiative de ces réaffectations » révèle Justin Breysse.

Application « Stop Covid« 

L’application « Stop Covid » lancée par le Gouvernement un mois après le déconfinement a été un échec. L’application ne réunit que 2,2 millions d’utilisateurs, à peine plus de 3% de la population.

Son lancement avait suscité de nombreuses inquiétudes sur l’utilisation des données personnelles. Selon le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, elle s’avère peu efficace et coûteuse. « Ce que l’on comprend dans les études qui ont été menées, c’est que les Français ne comprennent pas l’intérêt personnel qu’ils ont à télécharger Stopcovid » a-t-il expliqué. Je pense qu’il y a probablement des dimensions culturelles et de timing (…) Nous avons sorti notre application à un moment où on pensait que l’(épidémie) était finie. Sans doute le gouvernement et moi-même avons été insuffisamment pédagogiques ».

Pour autant, le gouvernement travaille sur une nouvelle version mais le calendrier de travail n’est pas clair. Quand Jean Castex affiche un objectif de lancement au 22 octobre, ce calendrier ne coïncide pas avec les propos de Cédric O formulés devant la commission d’enquête.

« Jusqu’à fin octobre, Capgemini qui est le maître d’œuvre du projet, travaille gratuitement. À partir de fin octobre, nous allons lancer un appel d’offres qui permettra de faire en sorte de désigner, selon des règles de marchés publics, un nouveau chef de projet » avait-il indiqué.