Entretien avec Elisabeth Doineau

Elisabeth Doineau, Sénatrice de la Mayenne
Crédits photos : Cécilia Lerouge

Le 17 janvier, le Sénat a organisé un débat en séance publique sur la prise en charge des mineurs non accompagnés (ou mineurs isolés). En tant que Vice-Présidente de la Commission des Affaires sociales, et co-auteur d’un rapport : « Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », Elisabeth Doineau, Sénatrice de la Mayenne a accepté de répondre à mes questions.

Quelle est la situation actuelle concernant les mineurs isolés ?

Nous allons passer de 13 000 mineurs non accompagnés accueillis en 2016 à probablement 25 000 en 2017, soit presque un doublement en un an. 50 jeunes arriveraient chaque jour sur le sol français. Face à ce phénomène d’ampleur jamais appréhendé, les conseils départementaux sont particulièrement démunis notamment dans le contexte de contrainte budgétaire que l’on connaît.

Cet été, vous avez publié au nom de la commission des affaires sociales un rapport consacré à l’urgence sociale des mineurs isolés quelles sont vos principales conclusions ?

Ce rapport a été travaillé avec mon ancien collègue, Jean-Pierre Godefroy, sénateur de la Manche. Si nous avons fait un certain nombre d’auditions au Sénat, nous avons également réalisé des déplacements de terrain en Ile-de-France, au Pas-de-Calais et dans les Alpes-Maritimes, des territoires particulièrement impactés.

Notre travail s’est concentré notamment sur la période de l’évaluation, qui cristallise de nombreuses difficultés. Le temps de l’évaluation est compensé par l’État à hauteur de 5 jours. Beaucoup de départements, et surtout les plus éloignés des services de la police aux frontières, nous indiquent que cette période est beaucoup plus longue en réalité (2 à 3 semaines).

Les départements sont aujourd’hui confrontés, d’une part, à ces arrivées massives de jeunes migrants (donc à leur mise à l’abri et à leurs évaluations) et d’autre part, à l’hébergement et à l’accompagnement des jeunes avérés mineurs répartis par la clé de répartition.

Cette dernière pose question. L’exemple du département des Alpes-Maritimes, qui continue de recevoir des mineurs au titre de la clé de répartition alors même qu’il en accueille un nombre croissant par ses frontières, nous a fortement alertés.

Quelles sont vos recommandations?

La première urgence, c’est l’évaluation et surtout la qualité de cette évaluation. Selon les départements et les moyens dont ils disposent, le champ des investigations possibles varie et ne permet pas de procéder partout, à une appréciation équitable.

J’avais proposé de centraliser les évaluations au niveau de plateformes interdépartementales ou régionales, mutualisant leurs moyens et bénéficiant du concours de l’État pour disposer de toute l’expertise nécessaire.

Par ailleurs, la mobilisation et la coordination de tous les acteurs n’est pas toujours possible. Il n’y a pas toujours de service de police aux frontières, des interprètes, un accès aux soins identiques sur tous les territoires, ni même d’hébergements suffisants, ce qui est préjudiciable aux migrants.

J’insiste aussi sur la mise en place d’une formation spécifique, diplômante, pour les agents départementaux notamment. Il faut former les évaluateurs, faciliter les échanges avec les organismes plus habitués à ce genre de démarches, comme l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.

Enfin, cette question s’inscrit dans un contexte d’amplification des flux migratoires. Il faut donc renforcer la lutte contre les filières de passeurs en coopération avec les États d’origine.

Le gouvernement partage-t-il vos orientations ? Quelles sont les perspectives envisagées ?

Lors du débat que nous avons eu au Sénat, la Garde des sceaux, Madame Nicole Belloubet a confirmé que le Président s’était engagé dès le mois de juillet, à ce que le système soit revu.

Cet automne, le Premier ministre a annoncé devant le Congrès de l’Assemblée des Départements de France, que l’État assumerait l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineurs entrant, jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée.

Un rapport a donc été confié aux corps d’inspection des ministères de la justice et des affaires sanitaires et sociales sur la reprise par l’Etat de la phase d’évaluation et de mise à l’abri. Les conclusions sont attendues avant la fin du mois et jetteront les bases du nouveau dispositif.

Sur le plan financier, le Gouvernement s’est engagé à abonder le fonds national de la protection de l’enfance, de 6,5 millions d’euros. Une première enveloppe de 132 millions d’euros inscrite dans le projet de loi de finances pour 2018 a été adoptée pour soutenir les départements.

Je rencontrerai prochainement la garde des Sceaux, Madame Nicole Belloubet pour échanger plus en détails sur ces pistes de réflexion, au regard du travail législatif que nous avons mené et veiller au respect de ces engagements.