De l’état d’urgence au Droit commun

Depuis 2013, le législateur a adopté 8 lois destinées à renforcer les outils mis à disposition des autorités administratives et judiciaires pour prévenir la commission d’actes de terrorisme.

Le Sénat est à l’initiative de plusieurs de ces lois.

Comme je vous l’ai souvent indiqué à travers cette Lettre, je considère que nous disposons désormais d’un arsenal pénal législatif très complet. De même, les pouvoirs de police administrative ont été considérablement renforcés. Nous sommes arrivés au point d’équilibre où aller au delà finira par poser un problème de libertés publiques dont le Sénat a vocation à être l’un des garants.

Il reste à trouver le moyen de sortir de l’état d’urgence, ce qui pose un problème politique dont personne n’a voulu prendre la responsabilité au cas où un attentat se produise.

Comme toute situation d’exception, l’état d’urgence ne peut devenir permanent. Une société a des moyens normaux de défense : en cas de crise grave, elle passe à l’état d’urgence et au-dessus il n’y a plus que l’état de siège, c’est à dire les pleins pouvoirs à l’autorité militaire !
Notre Constitution prévoit avec raison une gradation.

L’idée du Président de la République consiste à ne pas poursuivre l’état d’urgence lorsque « les mesures encore utiles » de l’état d’urgence auront été intégrés à notre Droit commun.

C’est l’objet du projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ».
Le contexte : une levée de l’état d’urgence prévue pour le 1er novembre 2017

L’examen de ce texte intervient alors que le Parlement a accepté la sixième et a priori dernière prorogation de l’état d’urgence sur notre territoire, qui s’étendra du 15 juillet au 1er novembre 2017

Ce projet de loi a pour objectif de renforcer les outils de prévention et de lutte contre le terrorisme, en inscrivant dans le droit commun des mesures inspirées de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, elle-même modifiée à l’occasion des prorogations successives.

Trouver le bon équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et garantie des libertés individuelles

Le Sénat a abordé l’examen de ce texte en s’inscrivant dans la recherche d’un équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la protection des droits et des libertés constitutionnellement garantis.

L’état d’urgence : un régime d’exception dont l’efficacité a décru

Le bilan statistique des 5 phases écoulées de l’état d’urgence permet de constater que le nombre des mesures prises en application de la loi du 3 avril 1955 a fortement décru au cours des phases suivantes, comme vous pourrez le constater dans le tableau ci-dessous.

Il serait bien entendu réducteur de résumer l’utilité et l’efficacité de ce dispositif exceptionnel au nombre de mesures ordonnées.

Le recours moins intensif aux outils de l’état d’urgence au cours des périodes suivantes traduit une utilisation plus ciblée de ces mesures exceptionnelles.

Les prorogations de l’état d’urgence ont certes permis de renforcer la protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles en réécrivant certaines mesures de l’état d’urgence telles que le régime des données informatiques saisies à l’occasion d’une perquisition, l’interdiction de séjour ou encore la mise en place, dès novembre 2015, d’un contrôle parlementaire accru et régulier de l’état d’urgence.

Il n’est objectivement pas simple d’intégrer des mesures d’exception dans le droit commun. C’est même a priori contradictoire et il ne faut pas s’étonner que cela pose des problèmes de réglage !

Quelles mesures de l’état d’urgence sont vouées à être inscrites dans le droit commun ?

Si l’on devait simplifier, je dirais que ce projet de loi vise à introduire dans le droit commun une version « édulcorée » (c’est-à-dire au champ plus restreint) des mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence.

Nous retrouvons ainsi des mesures individuelles telles que :
 
  • les assignations dans un périmètre géographique déterminé et les obligations particulières de surveillance  ;
  • les perquisitions administratives, y compris de nuit, et les saisies de données informatiques  ;
  • la possibilité reconnue au préfet de prononcer la fermeture de lieux de culte aux fins de prévention des actes de terrorisme
 À ces mesures individuelles s’ajoutent un certain nombre de mesures générales qui prévoient par exemple de :
 
  • conférer au préfet le pouvoir d’instituer, afin d’assurer la sécurité de lieux ou d’événement soumis à risque d’actes de terrorisme, des périmètres de protection au sein desquels l’accès et la circulation des personnes sont contrôlés sous l’égide d’officiers de police judiciaire ;
  • renforcer les contrôles d’identité dans les zones frontalières ainsi qu’autour de certains ports et aéroports ouverts au trafic international, afin d’anticiper la levée prochaine du dispositif exceptionnel ayant permis à la France de rétablir ses contrôles aux frontières au lendemain des attentats de novembre 2015 ;
  • pérenniser le système de suivi des données des dossiers de passagers aériens, notamment utilisé par les services de sécurité et de renseignement aux fins de prévention et de recherche des infractions terroristes ;
  • aux mêmes fins, créer un nouveau traitement automatisé de données à caractère personnel en vue de la collecte et de l’exploitation des données d’enregistrement des voyageurs de transports maritimes.
  • d’instaurer d’un nouveau cadre légal pour la surveillance des communications hertziennes, de manière à sécuriser l’activité des services de renseignement (en lien avec une récente décision du Conseil constitutionnel)

 L’introduction de dispositifs « hybrides » de prévention et de lutte contre le terrorisme : la nécessaire vigilance du Sénat

Le projet de loi emporte un renforcement important des pouvoirs de l’autorité administrative. Ces derniers vont devoir s’articuler avec l’arsenal législatif pénal, complet et solide, dont s’est doté notre pays au cours des dernières années pour anticiper et prévenir les actes de terrorisme.

Notre droit comprendra donc des dispositifs administrativo-judiciaires, dits « hybrides« , de lutte contre le terrorisme. 

Pour simplifier toujours la police administrative qui portait uniquement sur « l’avant », la prévention tend vers la sanction (par exemple les assignations à résidence) privilège de jadis du juge, et le droit pénal soucieux d’aller chercher l’infraction le plus en amont possible du fait délictuel ou criminel (exemple de l’apologie ou de l’association de malfaiteurs, d’appréciation ultra large) tend vers l’avant qui était le privilège de l’administration ou de l’exécutif ! Nous sommes à la limite du mélange des genres !

Par conséquent, et afin de garantir la protection des droits et libertés fondamentaux, le Sénat a procédé à une série d’ajustements visant à garantir la nécessité, l’adaptation et la proportionnalité de chacune des mesures proposées.

Le Sénat a ainsi modifié le texte en adoptant plusieurs amendements visant à :

  • mieux encadrer les restrictions à la liberté d’aller et venir (cela concerne donc les périmètres de protection et l’extension des contrôles d’identité dans les zones transfrontalières) et à la liberté de culte par la clarification des motifs permettant la fermeture temporaire d’un lieu de culte ;
  • réaffirmer le rôle de l’autorité judiciaire s’agissant des mesures attentatoires aux libertés individuelles, par exemple en prévoyant que les mesures individuelles d’assignation et de surveillance prévues par le texte ne puissent être renouvelées qu’après le contrôle de l’autorité judiciaire ;