Vous devez lire de nombreux articles concernant la « révolte » de la police judiciaire.
C’est un sujet qui est également très débattu au Parlement mais qui a la caractéristique d’être purement réglementaire.
Il s’agit en effet d’une organisation interne au ministère de l’Intérieur et elle n’a aucun caractère législatif.
C’est la raison pour laquelle l’examen parallèle de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur ne concerne pas en réalité ce sujet même si elle évoque largement la question des moyens humains, juridiques, budgétaires ou matériels de nos services de sécurité.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de la double conviction du ministre Gérald Darmanin et du directeur de la police nationale Frédéric Veaux, qui a comme caractéristique d’être un pur produit de la police judiciaire, que la police est trop organisée en silo.
Ils estiment en effet qu’il y a une police de la sécurité publique qui comprend la majorité des effectifs avec les gardiens de la paix que nous pouvons voir sur nos territoires, la police judiciaire qui traite les affaires pénales les plus importantes et qui a le maximum d’enquêteurs mais il y a aussi les services d’information qui ont plus ou moins pris la suite des renseignements généraux, les services antiterroristes, la police de l’air et des frontières, les laboratoires de recherche scientifique et les divers organismes spécifiques à telle ou telle forme de criminalité depuis les jeux en passant par la prostitution ou la lutte contre la drogue.
Tous les deux expliquent que l’on en est arrivés à avoir des protocoles d’accord entre services de police pour organiser la coordination !
Ils estiment en conséquence qu’une nouvelle organisation de la police supposerait plus de transversalité avec un directeur départemental dont l’autorité concernerait tous les services, directeur départemental qui lui-même serait soumis à la hiérarchie du Préfet.
C’est en fait le système sur lequel fonctionne aujourd’hui notre gendarmerie ou nos services de sapeurs-pompiers.
Cette vision se heurte à l’opposition acharnée de la police judiciaire et plus discrètement de la justice.
Leurs arguments ne sont pas minces.
D’une part, la police judiciaire fait observer que lutter contre, par exemple, le trafic de drogue, les passeurs ou autres trafics d’armes ne peut pas s’inscrire dans une logique départementale.
Ce sont des enquêtes nationales qui peuvent prendre beaucoup de temps. Elles représentent un savoir-faire spécifique. Pour les intéressés, c’est une perte de sens dans leur métier et une disparition de ce qui faisait la force de la police judiciaire.
Les enquêteurs ont également quelques doutes quant aux arbitrages qui seront faits demain par les directeurs départementaux et par leurs supérieurs Mesdames et Messieurs les Préfets.
Chacun sait que politiquement pèse très fort aujourd’hui dans l’esprit de nos concitoyens l’insécurité, pour les uns sa réalité pour les autres le « ressenti ».
Le citoyen a plus l’inquiétude de la petite délinquance, du dealer de proximité que du braquage lié au grand banditisme. La crainte est donc de voir les effectifs de police départementalisés être complètement affectés à des missions de proximité de sécurité publique et devoir abandonner le travail fastidieux long et sur des territoires plus larges qui feraient la spécificité de la police judiciaire.
Quant à la justice, elle n’est pas rassurée de savoir que demain la police se trouvera sous l’autorité hiérarchique du Préfet et donc à travers cela du gouvernement, même si c’est déjà le cas à travers l’autorité du ministre de l’Intérieur.
Mais la justice pense que les enquêteurs qui demain seront amenés à travailler sous sa responsabilité seront plus en réalité sous l’autorité de l’exécutif que sous l’autorité du juge indépendant.
J’ai longuement écouté le Ministre ainsi que Monsieur Veaux et ai beaucoup de mal à me faire une opinion définitive.
Je vois bien l’utilité d’une unité de commandement mais je crains effectivement que dans cet exercice les objectifs politiques l’emportent sur les enjeux techniques.
Je suis impressionné par la prédominance des organigrammes dans notre pays toujours privilégiée à celle des fonctions et des objectifs.
C’est peut-être en étant plus clair sur les missions confiées à notre police que nous pourrons résoudre cette forme de double méprise entre une partie des policiers, leur ministre et leur directeur général.