Rencontre avec l’ADCF : quels enjeux en 2022 ?

Alors que la loi 3DS a été définitivement adoptée, j’ai rencontré le Président de l’ACDCF, Sébastien Martin. En tant qu’actrices majeures pour la mise en œuvre des politiques publiques structurantes du quotidien, les intercommunalités ont leur rôle à jouer pour relever les grands enjeux 2022.

Quelles sont selon vous les grandes priorités du prochain quinquennat pour nos territoires ?

Lors de son assemblée générale du 13 octobre 2021, Intercommunalités de France a adopté un Manifeste destiné adressé aux candidats aux élections présidentielles. Il formule 25 propositions autour de 4 grands thèmes, qui résument à notre sens les grandes priorités du quinquennat : le développement économique de nos territoires avec pour objectif d’inscrire notre relance dans un nouveau modèle de croissance ; accélérer nos transitions écologique et énergétique au cœur des territoires tout en travaillant à la réindustrialisation de notre pays ; préserver notre cohésion sociale et territoriale autour d’une stratégie d’aménagement du territoire cohérente ; repenser nos coordinations en améliorant le continuum de l’action publique entre État et collectivités

Vous avez annoncé, le 26 janvier dernier que Intercommunalités de France et France urbaine allaient organiser une audition conjointe des candidats à l’élection présidentielle, le 22 mars prochain. Tous les candidats ont-ils répondu présents ? Comment peut-on suivre cette audition ?

Notre association a d’ores et déjà adressé son manifeste à bon nombre de candidats déclarés à l’élection présidentielle.

Nous attendons la validation des 500 signatures et du Conseil Constitutionnel pour connaitre la liste exacte des candidats qui seront auditionnés conjointement par France urbaine et Intercommunalités de France. Les modalités pratiques de ces auditions seront communiquées très prochainement.

Le Premier ministre a présidé mardi le premier comité France 2030. Vous avez demandé à être pleinement associé à la mise en place du dispositif France 2030. Quel rôle pensez-vous que les intercommunalités doivent jouer dans le déploiement de ce plan d’investissement ?

Intercommunalités de France sera associée au comité de suivi de France 2030. Si les échelons nationaux voire européens sont pertinents pour promouvoir un nombre défini de filières industrielles de pointe, la vaste majorité des tissus productifs doit être soutenue de façon transversale, dans une approche qui ne peut qu’être partenariale et multiniveau face à la multiplicité des enjeux auxquels sont confrontés les industriels. L’industrie est un profond vecteur d’équilibre territorial, en contribuant à la création d’emplois dans des territoires en majorité ruraux ou en périphérie des villes moyennes. Le plan France 2030 doit par conséquent apporter des réponses aux différentes difficultés structurantes, immédiates et à venir, constatées par les industriels. Pour ce faire, le programme doit élargir sa méthode et la gamme de ses interlocuteurs. C’est en mettant autours de la table toutes les parties prenantes des écosystèmes industriels (entreprises, clusters, services et opérateurs de l’Etat, collectivités, et branches…) que le plan France 2030 dessinera une stratégie industrielle d’envergure, en mesure de concilier besoins immédiats et projets d’avenir.

Régions et intercommunalités partagent avec l’Etat la responsabilité du développement économique de nos territoires. Les intercommunalités connaissent leurs tissus d’entreprises et les accompagnent déjà au quotidien. La performance des gouvernances locales élus/industriels est d’ailleurs démontrée par le programme Territoires d’industrie. Les 146 Territoires d’industrie (TI) constituent une machine à projets industriels n’appelant qu’à être alimentée par France 2030, dont ils pourraient constituer un versant.  Ces derniers ont d’ores et déjà permis depuis trois ans la remontée de 1800 projets participant à la consolidation des activités industrielles. Les binômes élus industriels qui les président, le pilotage régional, et le suivi de la Délégation Territoires d’industrie sont un socle solide sur lequel France 2030 devrait s’appuyer pour préciser et opérationnaliser son déploiement.

Comment voyez-vous le rôle des intercommunalités dans la relance de l’économie ? Quels rôles doivent-elles jouer ?

L’intercommunalité, c’est l’échelon opérationnel des politiques de développement économique. Les intercommunalités se sont déjà illustrées dès 2020 en déployant, avec les régions, des plans de relance locaux. Elles sont en première ligne pour territorialiser le plan France Relance et vont continuer à le faire dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) signés avec l’Etat sur la durée du mandant local (2020-2026). Dans son Manifeste, Intercommunalités de France formule plusieurs propositions pour conforter le développement économique local en répondant aux besoins des entreprises (foncier, formation) : renforcer le partenariat entre régions et intercommunalités sur les enjeux de formation dans nos bassins d’emploi ; généraliser les démarches de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences dans les territoires en lien avec les fédérations professionnelles ; Intensifier le travail collaboratif entre les intercommunalités et nos établissements d’enseignement supérieur, ressource stratégique au coeur de la société de la connaissance ; soutenir des filières de formation au numérique pour accompagner la transition digitale des tissus productifs locaux ; préserver les capacités d’accueil de nouveaux investissements industriels, par un encouragement massif de la requalification des friches.

Par ailleurs, Intercommunalités de France en partenariat avec Territoires audacieux met en valeur sur son site des initiatives locales pour la mise en place de solutions pour la relance et la transition écologique à travers des interviews : Des président.e.s d’intercommunalités – communautés de communes, d’agglomération, urbaine ou métropoles –  qui expliquent une ou des actions mises en place localement pour répondre aux enjeux de soutien et de développement de l’économie, de l’emploi.

Un des axes de réflexion de votre manifeste 2022 concerne la rénovation des cadres du dialogue Etat-collectivités en amont des grandes évolutions législatives. Comment renforcer la visibilité budgétaire ?

Nous plaidons pour une politique contractuelle entre l’Etat et les collectivités. Nous pensons que des engagements chiffrés et pluriannuels pourraient donner de la visibilité aux élus. On ressent beaucoup de frustration de la part des élus qui ont parfois consacrer énormément de temps à monter des projets qui finalement ne pourront pas être financés.

Nous sommes partisans de l’idée d’une loi de programmation pour les collectivités. Je suis favorable aux engagements chiffrés pluriannuel qui permettent une prévisibilité parce qu’aujourd’hui, la difficulté que nous avons est de bâtir des contrats sans engagements financiers.

Que pensez-vous de la différenciation et doit- on aller plus loin ?

La crise a montré que seul l’Etat avait les moyens d’action. Concernant les compétences qu’il reste à décentraliser, je ne suis pas certain que nous ayons un vrai consensus des français sur des sujets comme l’hôpital ou l’éducation… Il faut avouer que nous sommes attachés à la norme et à l’égalité devant la norme.

Par contre, nous portons une politique décentralisatrice sur le logement, avec par exemple l’autorité organisatrice pour l’habitat. Un autre cheval de bataille est la déconcentration ; Nous croyons que le dialogue avec le Préfet permet un travail fin avec les territoires.

Est-ce que les communes et interco seront en mesure de mettre en oeuvre le principe du zéro artificialisation nette ?

Le ZAN répond à un objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire territorialisé de division par deux de la consommation foncière d’ici 2030. La mise en œuvre de ce principe est un défi sans précédent pour les collectivités. Un défi en matière d’ingénierie (c’est un sujet très technique), un défi financier (la densification et la réhabilitation des friches coûte cher) et un défi politique (tous les échelons territoriaux doivent se coordonner entre eux). Ces différents enjeux sont appropriés très différemment selon les territoires. Ceux connaissant une pression foncière de longue date (espaces littoraux, urbain dense) possèdent souvent un outillage dédié, mais font face à une concurrence des destinations et une inflation des prix du foncier limitant leurs marges de manœuvre. Les territoires ruraux ou économiquement fragilisés disposent d’insuffisamment d’ingénierie (connaissance du foncier, existence d’outils de portage, financement des opérations).

Pour y faire face, il faudra renforcer l’observation foncière (notamment mettre à disposition des communautés des outils de connaissance et de prospective autour du foncier), valoriser les outils de régulation et d’intervention existants, accroître les moyens financiers et en ingénierie. Notons par ailleurs que si le ZAN est censé s’échelonner sur les 30 prochaines années, plusieurs services déconcentrés de l’Etat (DREAL, DDT) tendent à considérer cet objectif comme immédiat et l’imposent dès aujourd’hui à nombre d’intercommunalités. Il faut donner du temps aux collectivités pour s’organiser, concerter et s’équiper pour mettre en place cette nouvelle doctrine.