Le regard d’un ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme

Dans le cadre de cette mission, nous avons auditionné M. André Potocki, conseiller conseiller honoraire à la Cour de cassation, ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme. Relations entre politiques et juges, crise de la démocratie, son exposé a été particulièrement intéressant.

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La judiciarisation de la société, thème central de cette mission d’information est selon, M. Potocki, « un thème ancien, récurrent, complexe et très sensible, catalyseur de susceptibilités ». Pour lui, notre démocratie traverse une crise extrêmement grave qui pourrait être décrite comme suit :

A l’égard de l’exécutif : nous vivons une « crise de l’action« , entraînant « des réactions vives, brutales, irrationnelles ».

A l’égard du législatif : nous vivons « une crise de la représentation ». « Les citoyens contestent la légitimité des élus, adoptent des attitudes très critiques, voire de violence y compris physiques. Enfin, l’abstention s’installe durablement. « 

A l’égard des relations juridictionnelles : nous vivons une crise de l’interposition. « Les juges sont débordés et dépréciés. »

Juges et politiques : des relations houleuses

Il existe une sorte de différence culturelle entre les juges et les politiques. Bien souvent, dans la réalité des relations, politiques et juges ne se comprennent pas très bien.

M. ANdré Potocki

D’abord par la source de leur légitimité. Bien que la source première de la légitimité soit l’élection, d’autres légitimités concourent à renforcer et développer la démocratie. « Les juges à mon sens ont une vraie légitimité qui n’a rien de concurrent avec celle de la légitimité élective mais qui vient la renforcer à travers le champ de l’Etat de droit. »

Les différences culturelles s’expriment aussi à travers les modes de travail. Le politique repose sur l’efficacité managériale et adopte une communication qui s’adresse au plus grand nombre. Le discours est donc amené vers plus de synthèse.

A contrario, les juges eux, sont dans une temporalité spécifique. Ils interviennent à posteriori des problèmes posés et s’appuient sur un corpus juridique large. Ces divers éléments expliquent que « bien souvent, dans la réalité des relations, politiques et juges ne se comprennent pas très bien. »

Pour renforcer la compréhension mutuelle entre ces deux corps, M. Potoscki recommande de renouer le dialogue. «  Je crois personnellement, qu’il est essentiel de mettre en œuvre une attitude d’écoute, de respect et d’attention réciproque. C’est la clé qui nous permettra de réduire des incompréhensions. Il faut se parler. »

Tout en relevant que « le juge est un législateur interstitiel, à qui l’on laisse le soin de tranche dans un interstice très large », « les juges doivent pouvoir mesurer les conséquences de leur pouvoir et l’exercer avec la retenue la mesure et la pertinence nécessaire. Un des moyens de la faire est d’avoir des échanges avec ceux qui exercent des fonctions voisines. » Des voies de progrès sont à trouver dans ce domaine là.

Certaines décisions de justice peuvent en effet avoir des conséquences fortes sur les débats de société.

Sur ce point, M. Potocki met en garde le monde de la justice : « ne calculez pas ces interférences qui auraient des conséquences que vous souhaiteriez dans le jeu politique. Gardez-vous bien de faire de la politique. N’en faites pas. En revanche, ayez conséquence de la portée de vos décisions sur les débats de société, sur les politiques menées par ceux qui en ont la compétence nécessaire. »

Il faut intervenir dans la formation des juges pour leur faire toucher du doigt ces nuances, cet éveil au caractère interactif des différentes autorités et pouvoirs qui s’expriment dans le champ public.

Renouer avec le dialogue des juges

« Je pense que des juridictions qui ont un fort pouvoir normatif devraient pouvoir rencontrer des partenaires publics pour discuter avec eux d’un certain nombre de décisions rendues pendant l’année. Cela leur donnerait la possibilité d’exposer en détail tous les problèmes posés par le droit et l’inflation normative. »