La Commission européenne a dévoilé le 14 juillet dernier son plan d’action pour le climat intitulé « Fit for 55 » (paré pour 55), dont l’objectif est de réduire de 55% les émissions européennes de CO2 d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990. Fin des voitures à essence, taxe kérosène dans l’aérien, taxation des importations, réforme du marché du carbone, ce big bang législatif fera l’objet, pendant au moins un an, de discussions qui s’annoncent d’ores et déjà vives, entre les députées européens et les 27 États membres.
Ce paquet législatif baptisé« Fit for 55 » s’inscrit dans le prolongement du vote de cet objectif par le Parlement européen (en décembre 2020), de son « Pacte vert » (ou Green deal) et de l’objectif d’une neutralité carbone en 2050.
Il comprend une série de 12 propositions législatives qui déclinent les objectifs climatiques globaux de l’UE secteur par secteur, de l’industrie aux transports en passant par l’énergie ou la construction.
Les deux chantiers majeurs que prévoit le paquet « Fit for 55 » sont la création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la révision du marché du carbone.
Un futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières calqué sur l’actuel système ETS (système d’échange de quotas d’émission de l’UE)
Grâce à un futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM, selon le terme anglais « carbon border adjustment mechanism »), l’UE devrait être en mesure d’imposer ses normes environnementales aux entreprises étrangères exportant sur son territoire. L’UE part du principe qu’elle n’est pas seule responsable du réchauffement climatique et que réduire le bilan carbone du seul marché unique ne sera pas suffisant. Elle entend réduire le bilan carbone des entreprises qui exportent vers l’Europe. Concrètement, le MACF appliquerait, sur les
produits importés, la tarification carbone en vigueur sur les mêmes produits européens intensifs en émissions.
L’objectif est de lutter plus efficacement contre les fuites de carbone qu’avec les instruments existants, dans un cadre compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), explique la Commission. L’exécutif européen espère l’entrée en vigueur de ce nouveau mécanisme en 2023, avec une période de test jusqu’en 2026, afin de prévenir d’éventuelles délocalisations de sites de production situés dans l’UE vers des pays tiers appliquant des règles moins strictes en matière de limitation des émissions. Ainsi, le MACF doit être une « invitation en direction des partenaires commerciaux de l’UE à travailler avec elle en vue d’augmenter les ambitions climatiques de tous »,et, » dans le meilleur des cas [comprendre : si les entreprises étrangères sont soumises à des règles aussi strictes qu’en Europe en matière de limitation des émissions], (il n’y aura) nullement besoin d’appliquer le mécanisme « . Les secteurs de l’électricité, du ciment, des engrais, de l’aluminium, du fer et de l’acier sont concernés.
La Commission ouvre la voie à la révision du marché du carbone et à la refonte du règlement sur la répartition de l’effort
La refonte du système des ETS de l’UE va de pair avec la potentielle mise en œuvre du MACF(mécanisme d’ajustement carbone aux frontières).
Depuis 2005, le système des ETS est le pilier central de la politique climatique de l'UE : il oblige en effet les centrales électriques, l'industrie manufacturière et les compagnies aériennes à acheter des permis lorsqu'elles émettent du CO2. Ces secteurs sont responsables d'environ 40 % des émissions de l'UE. La tonne coûte actuellement un peu plus de 50 euros et ce prix est appelé à augmenter. Le but de ce système des ETS est de décourager les industries d'émettre du CO2. Cependant, la Commission européenne considère qu'il faut rapidement le remodeler pour le rendre plus efficace. Sa dernière refonte remonte en effet à 2018, avec, en ligne de mire alors, une baisse de 43 % des émissions en 2030 (par rapport à 2005) dans les secteurs concernés par ce système. Or avec les règles en place, les niveaux d'émissions auraient baissé de 51 % (et non de 55 %) en 2030, selon des prévisions de la Commission.
Pour faire mieux, l’institution propose maintenant d’une part d‘étendre ce système aux émissions du secteur maritime et d’autre part, d’établir un « marché du carbone bis », parallèle à celui qui existe déjà, afin de couvrir le secteur des bâtiments et du transport routier.
En outre, la Commission propose de réduire la quantité de quotas en circulation en Europe. En revanche, alors que de nombreux eurodéputés et ONG plaidaient pour l’idée d’en finir avec les « quotas gratuits », qui ne sont autres que des quotas « offerts » aux industriels selon des critères en lien avec la conjoncture économique et le niveau de concurrence sur les marchés internationaux, la Commission n’a retenu cette piste que pour le secteur de l’aviation. Elle souligne toutefois que les secteurs couverts par le nouveau MACF ne devront pas bénéficier de quotas gratuits.
Pour ce qui est des secteurs qui ne sont pas couverts par les ETS, à savoir les bâtiments et le transport routier (jusqu’alors pas concernés par les quotas d’émission), de même que l’agriculture et les déchets, la commission européenne souhaite renforcer leurs objectifs climatiques. Elle propose donc que les émissions émanant de ces
secteurs soient réduits de 40 % d’ici à 2030 (par rapport aux niveaux de 2005), contre une réduction de 29 % prévue actuellement.
La Commission européenne devait donc déterminer des objectifs nationaux plus contraignants qu’auparavant, et c’est ce qu’elle a fait. Pour la France, l’objectif actuel d’environ 35 % de réduction d’émissions passe à 47,5 %. Afin d’atteindre leurs nouveaux objectifs, les Etats membres bénéficieront toutefois d’une certaine souplesse, notamment la possibilité de « conserver » des allocations d’émissions pour une période ultérieure, s’offrant ainsi des crédits d’émission pour le futur si au cours d’une année, les émissions ont été plus basses que la limite autorisée dans un secteur.
Un nouveau « fonds social » afin que la transition verte « ne laisse personne sur le bord du chemin »
La commission européenne propose la mise en place d’un « mécanisme social d’action pour le climat », afin d’atténuer les dommages collatéraux causés par ses nouvelles politiques, et notamment par le nouveau marché des ETS pour le chauffage et les carburants. L’idée de la Commission est d’allouer une partie des revenus tirés de ce nouveau marché pour aider les « plus vulnérables », et ainsi éviter une fronde à l’échelon communautaire comme celle des Gilets jaunes en France.72,2 milliards d’euros sur dix ans pourraient ainsi être mis à disposition des Etats membres.
Le verdissement de l’énergie, un aspect central du paquet « fit for 55 »
La Commission rappelle que la production et l’utilisation d’énergie représentent 75 % des émissions de l’UE, et qu’il est donc « essentiel d’accélérer la transition vers un système énergétique plus écologique ». Pour y parvenir, la Commission propose de revoir la directive sur les énergies renouvelables afin de relever l’objectif de production de telle sorte que la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables atteigne 40 % d’ici à 2030.
Pour abaisser la consommation globale d’énergie, de réduire les émissions et de lutter contre la précarité énergétique, la directive sur l’efficacité énergétique doit pour sa part fixer, au niveau de l’Union, un objectif annuel contraignant plus ambitieux qu’auparavant en matière de réduction de la consommation d’énergie. Le secteur public
sera ainsi notamment tenu de rénover 3 % de ses bâtiments chaque année afin « de lancer la vague de rénovations, de créer des emplois et de faire diminuer la consommation d’énergie et les coûts pour le contribuable », selon la Commission
Par ailleurs, l’exécutif européen a aussi présenté une proposition de révision de la directive sur la taxation de l’énergie, en vue d‘aligner la taxation des produits énergétiques sur les politiques de l’UE en matière d’énergie et de climat. Avec cette réforme, la Commission veut promouvoir les « technologies propres » et supprimer les
« exonérations obsolètes et les taux réduits qui encouragent actuellement l’utilisation de combustibles fossiles ».
Dès 2035, la Commission européenne vise zéro émission de CO2 en provenance du parc de véhicules neufs de l’UE. Le secteur des transports n’est pas non plus en reste dans ce paquet législatif tentaculaire : le système des ETS doit concerner le secteur routier par le biais de l’introduction d’un marché parallèle dédié. En outre, « toutes les voitures neuves immatriculées à partir de 2035 seront des véhicules à émissions nulles », promet la Commission. Elle a donc amendé le règlement européen qui fixe les normes d’émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes, en proposant une réduction des émissions moyennes des voitures neuves de 55 % à partir de 2030 et de 100 % à
partir de 2035 par rapport aux niveaux de 2021.
Qui plus est, le règlement révisé sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs imposera aux Etats membres d’accroître leur capacité de recharge au rythme des ventes de véhicules à émissions nulles et d’installer des points de recharge et de ravitaillement à intervalles réguliers sur les grands axes routiers (soit tous les 60 kilomètres pour la recharge électrique et tous les 150 kilomètres pour le ravitaillement en hydrogène).
Par ailleurs, la Commission note que « les carburants d’aviation et les combustibles maritimes sont à l’origine d’une pollution importante et nécessitent aussi des mesures spécifiques, en plus de l’échange de quotas d’émission « . Ainsi, avec son règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, l’institution réclame que les aéronefs et les navires puissent s’alimenter en électricité propre dans les principaux ports et aéroports.
Quant à l’initiative « ReFuelEU Aviation », elle obligera les fournisseurs de carburants à accroître la part des carburants d’aviation durables dans les carburéacteurs embarqués dans les aéroports de l’Union, y compris les carburants de synthèse (« e-fuels ») à faible teneur en carbone. De la même manière, l’initiative « FuelEU Maritime » encouragera l’utilisation de combustibles maritimes durables et de technologies à émissions nulles en imposant une limite maximale à la teneur en gaz à effet de serre de l’énergie utilisée par les navires faisant escale dans les ports européens.
La Commission rappelle l’importance des forêts dans le processus de décarbonation de l’Europe
Enfin, les « puits de carbone » occupent une place centrale dans ce paquet de la Commission puisque l’objectif d’une réduction de 55 % en 2030 s’entend « après absorption par les puits de carbone ». En d’autres termes, les absorptions par les puits de carbone doivent être prises en compte dans les calculs des émissions de l’Europe. Elle a fixé dans le règlement sur l’utilisation des terres, la foresterie et l’agriculture, un objectif global d’absorption de carbone par les puits naturels équivalant à 310 millions de tonnes d’émissions de CO2 d’ici à 2030.
» D’ici à 2035, l’Union devra s’efforcer de parvenir à la neutralité climatique dans les secteurs de l’utilisation des terres, de la foresterie et de l’agriculture, y compris en ce qui concerne les missions autres que celles de CO2 du secteur agricole, telles que celles provenant de l’utilisation d’engrais et de l’élevage », explique encore la Commission, qui a aussi dévoilé une stratégie « pour les forêts« , afin d’ « accroître la qualité, la quantité et la résilience des forêts de l’Union ». Selon ce plan qui n’a pas de valeur légale, trois milliards d’arbres supplémentaires doivent notamment être
plantés en Europe avant 2030.