Jean-François Longeot : « Nous avons adopté une loi qui s’adapte aux territoires »

Le Sénat a adopté la semaine dernière le projet de loi Climat et Résilience, en le réécrivant largement. Le texte doit désormais faire l’objet d’une discussion en commission mixte paritaire où députés et sénateurs essaieront de se mettre d’accord sur un texte commun. Comment les collectivités territoriales sont-elles concernées par le projet de loi ? Rencontre avec Jean-François Longeot, Sénateur du Doubs et Président de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable qui a suivi les travaux.  

Quelles sont les grandes lignes directrices du projet de loi et, selon vous, ces objectifs sont-ils respectés ?

Ce texte est directement inspiré des travaux de la convention citoyenne pour le climat dont l’objectif était de « proposer des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 dans une logique de justice sociale. » A ce stade, cet objectif n’est pas respecté par le projet de loi qui a d’ailleurs reçu un avis négatif du Haut Conseil pour le Climat. Le Sénat a cherché à l’améliorer et à combler certains angles morts du texte.

Est-il possible de mener à bien l’ensemble de ce programme environnemental tout en préservant les capacités de notre économie ?

C’est l’une des ambitions de l’examen au Sénat : concilier économie, écologie et justice sociale. Je pense notamment aux aides à la rénovation énergétique des bâtiments et au taux de TVA réduit à 5,5 % que nous avons proposé d’appliquer à ces travaux qui créent des emplois non délocalisables et améliorent la qualité de vie de la population. Signe que la transition écologique soulève davantage d’opportunités que de menaces !

Est-ce qu’il y a une place pour une écologie d’accompagnement par opposition à une écologie quelquefois présentée comme punitive ?

Tout à fait. Le sujet des engrais azotés à l’article 62 est un bon exemple. Cet article prévoit qu’il est envisagé de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels de réduction des émissions d’ammoniac et de protoxyde d’azote ne sont pas atteints pendant deux années consécutives.

La commission a procédé à une rédaction globale de cet article pour renverser la logique proposée par le Gouvernement. Plutôt qu’une solution coercitive, nous avons proposé un accompagnement des agriculteurs dans la réduction de leurs émissions d’ammoniac et de protoxyde d’azote, dans le cadre du plan national « Eco’Azot ».

La transition écologique intéresse les citoyens mais elle concerne aussi les collectivités. Ont-elles été entendues en amont de l’examen du texte, dans les phases préparatoires ?

Absolument, le Sénat s’est même fortement appuyé sur les élus locaux. De très nombreuses associations d’élus ont été auditionnées par les Commissions. Rien qu’au sein de la commission du développement durable, 130 auditions ont eu lieu. Je ne citerai que celles de l’AdCf, l’ANEM, Régions de France, France urbaine, ADF, APVF.

Par ailleurs, le Sénat a directement consulté les élus locaux sur le projet de loi initial par le biais d’une consultation en ligne. Nous avons collecté 1 800 réponses qui ont directement alimenté notre réflexion.

Le Sénat était très attaché à l’idée de faire une loi pratique qui s’adapte aux territoires. A l’inverse de ce qui peut se faire d’habitude, nous n’avons pas voulu faire une loi qui obligera les territoires à s’y adapter mais plutôt une loi pratique qui s’adapte aux territoires.

Quel est le message principal que vous souhaiteriez adresser aux communes, vis-à-vis de la transition écologique ?

A travers cette loi, on a toutes et tous compris que le sujet climatique n’est plus un sujet tabou. Tout le monde a conscience qu’il y a une vraie urgence. Maintenant, il y a plusieurs manières de l’aborder. Nous avons choisi la concertation, la logique pratique et pragmatique pour tenir compte des réalités des territoires.

Selon vous, dans ce texte, quels sont les sujets les plus importants pour les collectivités locales ?

La décentralisation du pouvoir de police de publicité (article 6), la possibilité pour le règlement local de publicité d’encadrer les publicités à l’intérieur des vitrines (article 7), la création et la mise en œuvre des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) (article 27), l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour mettre en place une contribution régionale pour le transport routier de marchandises (article 32), une obligation d’élaboration par les collectivités d’une stratégie pluriannuelle de réduction de la consommation énergétique de leur patrimoine à usage tertiaire (article 45) ou encore les menus végétariens (article 59) sont parmi les sujets dont devront se saisir les collectivités une fois la loi promulguée.

Qu’y a-t-il vraiment derrière l’objectif de zéro artificialisation nette ?

Ce projet de loi affiche des objectifs ambitieux de réduction de l’artificialisation des sols qui proposent une réelle rupture avec les dynamiques passées et prolongent les efforts de sobriété foncière conduits par les collectivités territoriales depuis le début des années 2000. Il apporte des avancées attendues, concernant notamment les friches ou l’intégration des enjeux logistiques. Parmi les dispositions importantes figurent :

  • Une trajectoire ambitieuse de réduction du rythme de l’artificialisation en deux étapes (-50 % d’ici 2031, rythme nul d’ici 2050), fixée et déclinée au niveau régional, que les documents locaux (Scot, PLU, cartes communales) devront rapidement intégrer.
  • Une interdiction de l’implantation de nouvelles surfaces commerciales de plus de 10 000 m2 de surface de vente sur des terres non artificialisées, et un encadrement plus strict de celles sous ce seuil, qui peuvent être autorisées à certaines conditions.

Comment cet objectif est-il transposé dans les documents de planification de l’espace (SRADDET, SCOT) et les plans locaux d’urbanisme ?

La commission des affaires économiques a remplacé l’approche centralisée et uniforme par une approche différenciée et territorialisée. Elle a replacé le SRADDET dans son rôle d’orientation générale pour confier la territorialisation des efforts aux SCoT.

Pour la traduction des objectifs de réduction de l’artificialisation, la Commission a souhaité affirmer clairement dans la loi que les cibles fixées par les SCoT, territorialisées tiendront compte de la conciliation des spécificités locales.


L’article 6 du projet de loi décentralise le pouvoir de police de la publicité en le confiant systématiquement au maire (ou au président d’EPCI), que la commune dispose ou non d’un règlement local de publicité (RLP). Quelle position a adopté le Sénat sur ce volet ?

Sur ce point précis, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait défini une position différente de celle adoptée en séance par l’ensemble des sénateurs. Nous avions prévu de permettre aux communes qui ne disposeraient pas de règlement local de publicité de transférer le pouvoir de police au préfet. En séance, il a été décidé que les compétences en matière de police de la publicité sont exercées, en l’absence d’un règlement local de publicité par le préfet mais peuvent être transférées au maire, sans conditions. Ces positions risquent toutefois d’évoluer au fil de la navette parlementaire.

L’article 7 prévoyait de donner au maire (ou au président de l’EPCI) la possibilité de réglementer les publicités et les enseignes lumineuses à l’intérieur des vitrines lorsqu’elles sont visibles depuis une voie ouverte à la circulation publique. Il habilitait le RLP à assujettir l’installation des publicités et enseignes lumineuses à un régime d’autorisation préalable. Le Sénat a supprimé cet article. Pourquoi ?

Cette suppression s’est faite contre l’avis de la commission ainsi que du Gouvernement et nous aurions souhaité davantage aménager que supprimer simplement une telle mesure. Les auteurs de l’amendement de suppression se basaient notamment sur l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi, considérant que cet article porterait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et au droit de propriété en se mêlant de l’aménagement intérieur des magasins qui sont des lieux privés.


L’article 22 organise une déclinaison régionale des objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables. Les objectifs nationaux de la programmation pluriannuelle de l’énergie devraient être compatibles avec les objectifs fixés par les SRADDET. Est-ce que ça veut dire que les communes et les EPCI vont pouvoir décider de leur mix énergétique ? Comment les collectivités locales vont-elles être associées aux travaux des régions ?

Elles seront associées aux travaux des régions au sein du « comité régional des énergies renouvelables ». Là aussi, nous avons amélioré l’article pour assurer une meilleure association des collectivités à ce comité.

Le Sénat a choisi d’octroyer un droit de véto aux conseils municipaux sur tout projet d’implantation d’éoliennes terrestres. N’y a-t-il pas un risque, en rouvrant ce sujet, de relancer des polémiques que l’on sait particulièrement sévères sur les territoires ?

C’est une disposition qui redonne de la liberté aux collectivités.

Le Sénat a voté la poursuite de l’expérimentation pendant deux ans d’un menu végétarien hebdomadaire dans les cantines scolaires, plutôt qu’une pérennisation de la mesure. C’est un signe de confiance envers les élus ?

Sur ce sujet, il convient de se laisser du temps et de rompre avec cette fâcheuse tendance à généraliser des expérimentations après un an, sans évaluation. Dans un avis rendu en 2020, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), s’est dite incapable de juger de l’avantage nutritionnel de plus d’un repas végétarien par semaine pour des jeunes.

Par ailleurs, l’expérimentation du menu végétarien hebdomadaire prévu par la loi EGalim court jusqu’en novembre 2021. Pour le moment, l’évaluation de cette expérimentation n’a pas pu réellement avoir lieu et les fermetures des écoles en raison de la crise sanitaire ont perturbé la mise en œuvre de la mesure. C’est pourquoi le Sénat a proposé de prolonger l’expérimentation pendant deux ans, compensant les dix-huit mois de Covid, pour une vraie évaluation. Il n’y aura pas de coup d’arrêt et, pendant ce temps, nous pourrons consolider nos capacités d’approvisionnement en produits locaux.

Quels sont, selon vous, les apports essentiels du Sénat sur ce texte ?

Je crois que l’on a réussi à démontrer que le Sénat n’est pas une assemblée ringarde ou hors sol mais qu’au contraire, elle porte aussi l’ambition écologique. Les apports du Sénat s’articulent autour de trois ambitions : tout d’abord, la suppression des angles morts du texte, avec le doublement du fret ferroviaire-fluvial ou la protection de nos forêts – qui absorbent 11 % des émissions des gaz à effet de serre.


Ensuite, nous avons tenté de concilier les enjeux économiques, écologiques et sociaux. J’en ai déjà parlé, par exemple les aides à la rénovation énergétique des bâtiments et au taux à 5,5 % appliqué à ces travaux, qui créent des emplois non-délocalisables.

Enfin, nous avons défendu une écologie responsable et pragmatique, au plus près du territoire, avec la déclinaison de l’objectif « zéro artificialisation des sols » (ZAN) au niveau des schémas de cohérence territoriale (SCoT) et la dynamisation de la politique alimentaire territoriale.

Le Sénat a adopté sa propre version du texte, s’affranchissant souvent des lignes directrices du Gouvernement. Un compromis est-il envisageable avec l’Assemblée nationale ?

C’est vrai que nous avons des points de divergence importants avec l’Assemblée et la Ministre de la transition écologique. Le Sénat est prêt à faire un pas en avant. Le dialogue est instauré entre les rapporteurs, avant même la réunion de la Commission mixte paritaire qui doit se tenir le 12 juillet prochain.

Mais certains points durs persistent, notamment sur le la baisse de la TVA sur les billets de train ou la réhabilitation de l’isolation thermique, sur lesquels Bercy rechigne.

La suppression par le Sénat du terme d’écocide est clivante, tout comme la suppression de l’article 7 relatif aux publicités et enseignes à l’intérieur des vitrines ou les Zones à Faible Emissions de gaz à effet de serre.

Enfin, le rétablissement de l’article 19 bis C adopté par l’Assemblée nationale sur les moulins ou l’article liminaire de réaffirmation du respect par la France des objectifs européens – rehaussés en décembre dernier – en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre posent également problèmes du côté du Gouvernement.

Pour ma part, je souhaite évidemment qu’on aille vers une CMP conclusive.

Même si notre pays était irréprochable en termes de transition écologique, peut-on à nous seuls, français ou européens, sauver la planète ?

Nous avons collectivement approuvé les engagements pris par la France : si notre pays ne représente qu’1 % de la population mondiale, il peut avoir une influence sur les négociations internationales. La France peut donner une impulsion : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue », disait Victor Hugo.