Projet de loi 4 D : quel texte présenté en conseil des ministres ?

Attendu depuis plusieurs mois, le projet de loi « 4D » relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, a finalement été présenté au conseil des ministres le 12 mai dernier. Il sera examiné par le Sénat en séance publique à compter du 5 juillet.

Un projet de loi bientôt dopé par le Sénat

S’appuyant sur les résultats d’un sondage et d’une consultation menés auprès des élus locaux et sur les 50 propositions qu’ils avaient présentées en juillet 2020, mes collègues ont d’ores et déjà annoncé leur intention d’enrichir et revoir à la hausse les ambitions du projet de loi.

Le Sénat propose d’emmener le projet de loi 4D une lettre plus loin, avec le E de l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier km, un constat renforcé après les deux crises des gilets jaunes et du Covid-19.

Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales

Différenciation territoriale

Le projet de loi est composé de 4 volets, dont le premier est la différenciation territoriale, conçue pour s’adapter aux réalités locales. Il réaffirme la capacité d’adaptation de l’organisation et de l’action des collectivités aux particularités de leur territoire, dans le respect du principe d’égalité. Elles auront, par exemple, plus de latitude pour fixer localement la réglementation des compétences qu’elles exercent.

Par ailleurs, l’article 2 élargit le pouvoir réglementaire local sur différents points de compétence identifiés dans le cadre des concertations territoriales. Une délibération du conseil municipal ou, le cas échéant du conseil communautaire fixerait, à la place d’un décret : 
                      – le nombre de membres du conseil d’administration du centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS ou CIAS),
                      – le délai pour dresser l’état de répartition des droits pour faire paître du bétail,
                      – le régime des redevances dues aux communes pour les occupations provisoires de leur domaine public par les chantiers de travaux.

– L’article 3 développe des délégations de compétences entre collectivités. Dans les 12 mois suivant le renouvellement des conseils régionaux, le président du conseil régional convoque une conférence territoriale de l’action publique (CTAP), au cours de laquelle il est débattu du principe de délégations de compétences entre entités locales de catégories différentes. Les délégations prévues sont inscrites à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante des collectivités et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre concernés dans un délai de 3 mois. 

Le texte prévoit également une réforme de la consultation citoyenne locale, en abaissant les seuils à partir desquels une demande de consultation citoyenne est recevable. Le texte propose de passer ce seuil à un dixième des électeurs d’une commune au lieu d’un cinquième.

Décentralisation

Le deuxième axe du texte concerne la décentralisation afin de conforter les compétences des collectivités dans les domaines de la mobilité, du logement, de l’insertion, de la transition écologique ou de la santé.

Transport

 L’article 6 prévoit le transfert du réseau routier national non concédé aux départements et métropoles qui le demandent.

L’article 7 du projet de loi permet aux régions volontaires d’exercer à titre expérimental pendant cinq ans la compétence d’aménagement et de gestion des routes nationales et autoroutes non concédées. Les départements peuvent eux aussi transférer à la région la gestion d’une route départementale identifiée comme étant d’intérêt régional. En outre, à l’inverse, durant l’expérimentation, la région peut transférer à un département la gestion d’une route mise à sa disposition.

– L’article 8 offre la possibilité pour l’Etat de transférer la maîtrise d’ouvrage d’une opération d’aménagement du réseau routier national non concédé aux régions, départements, métropoles, communautés urbaines.

– L’article 9 concerne les modalités du transfert des petites lignes ferroviaires et la mise à disposition des salariés de SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions. Il prévoit la possibilité pour la région d’obtenir la pleine propriété d’une ligne.

– L’article 10 autorise les collectivités territoriales et leurs groupements à installer des radars automatiques aux abords des routes.

– L’article 11 relève les majorations de la redevance de prise et de rejet d’eau due à Voies navigables de France (VNF) par le titulaire d’un ouvrage installé irrégulièrement sur le domaine public fluvial ou modifié sans autorisation. Il créé aussi une amende (de 150 à 12.000 euros) et une obligation de remise en état pour toute personne dégradant le domaine public fluvial.

Environnement

Selon l’article 12, les fonds « chaleur » et « économie circulaire » actuellement gérés par l’Agence de la transition écologique (Ademe) sont délégués à la Région. Un représentant des intercommunalités à fiscalité propre fait son entrée dans le conseil d’administration de l’agence.

Par ailleurs, les régions pourront poursuivre leurs actions de préservation de la biodiversité via la gestion des sites Natura 2000 exclusivement terrrestres (article 13). La décentralisation portera ainsi sur la gestion de 1540 sites terrestres avec une fonction d’autorité administrative confiée au président de la région.

L’article 14 renforce le pouvoir de police des maires et du préfet de département dans les espaces naturels protégés : par un arrêté motivé, ils pourront réglementer ou interdire l’accès à ces espaces.

Logement

En matière de logement, les objectifs de production de logements sociaux applicables aux communes, issus de la loi « SRU » du 13 décembre 2000, seront prolongés jusqu’en 2031 au lieu de 2025 tout en prenant davantage en compte les réalités locales (articles 15 et suivants). C’est l’éternel débat sur l’article 55 de la loi SRU (les 20 et 25 % de logements sociaux).

Il deviendrait également possible qu’un certain nombre de compétences puisse être délégué aux EPCI « en un bloc insécable » : les aides à la pierre, la gestion du droit au logement décent, la gestion de l’hébergement d’urgence.

L’article 16 ouvre la possibilité aux préfets de département de prendre des mesures correctives si les EPCI à fiscalité propre ou les établissements publics fonciers bénéficiaires des pénalités versées par les communes ne respectant pas les obligations de la loi SRU, n’utilisent pas ces ressources, ou si elles ne les utilisent pas conformément à la loi.

Les sanctions financières applicables aux communes carencées par l’instauration de taux de majorations « plancher » sont renforcées (article 19).

L’article 20 prévoit la suppression de l’actuelle procédure d’aménagement des obligations de réalisation de logements sociaux et des commissions départementales chargées de l’examen des demandes d’aménagement.

Attributions de logements sociaux : l’article 22 prévoit le renforcement du rôle des groupements à fiscalité propre dans la définition des objectifs de mixité sociale et l’accès au logement des personnes exerçant une activité professionnelle essentielle à la vie du territoire. Il allonge aussi les délais de mise en oeuvre de la cotation de demande de logement social et de la gestion en flux des réservations de logements sociaux (procédure d’attributions de logements sociaux) fixés par la loi Elan du 23 novembre 2018.

– L’article 23 prolonge l’expérimentation sur l’encadrement des loyers, prévue par la loi Elan. Elle s’achèvera en novembre 2026 – au lieu de 2023.

– L’article 24 prolonge le délai pour procéder à la mise en conformité des règlements de copropriété dans le but de prendre en compte les notions de parties communes spéciales, de parties communes à jouissance privative et de lots transitoires créées par la loi Elan.

– L’article 25 harmonise les conventions conclues entre l’Etat et les EPCI à fiscalité propre, pour la délégation de compétences en matière de logement social et d’hébergement.

– L’article 26 ouvre la possibilité de mener une opération de revitalisation du territoire (ORT) sur le périmètre d’une ou plusieurs communes situées dans une métropole, et ce sans la participation de la ville principale. 

– L’article 27 réduit de 30 à 10 ans le délai pour lancer une procédure d’acquisition de biens sans maître, dans le cadre d’une ORT ou d’une grande opération d’urbanisme. Dans le cadre des projets partenariaux d’aménagement (PPA) et des grandes opérations d’urbanisme (GOU), instaurées par la loi Elan de novembre 2018, l’exercice du droit de préemption serait « automatiquement transféré à l’EPCI ». 

– L’article 28 clarifie les dispositions juridiques sur les organismes de foncier solidaire.  

– L’article 29 donne la possibilité pour le département d’apporter gratuitement un appui technique aux communautés de communes pour l’élaboration du programme local de l’habitat.

Santé

En matière de santé, les collectivités auront la possibilité de participer au financement du programme d’investissement des établissements de santé publics et privés (art. 32).

Une collectivité territoriale ou un EPCI à fiscalité propre pourront recruter des professionnels médicaux. Ceux-ci peuvent être des agents territoriaux, lorsque le centre de santé est géré par une collectivité territoriale (art. 33).

Parmi les conséquences directes de la crise sanitaire, la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) est revue (article 31). Le conseil de surveillance des agences est transformé en conseil d’administration, au sein duquel deux vice-présidents (sur trois) sont des élus locaux (art. 31).

Enfin l’article 34 prévoit d’inscrire dans le code général des collectivités territoriales des compétences du département en matière d’accès aux soins de proximité et de sécurité sanitaire.

Cohésion sociale

La prise en charge du financement du revenu de solidarité active (RSA) par l’État sera expérimentée dans les départements volontaires. Les expérimentations commenceront dès le 1er janvier 2022 pour une durée de cinq ans.

Le département serait compétent pour coordonner le développement de l’habitat inclusif (foyers-logements par exemple), destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées. Le département serait également compétent pour coordonner l’adaptation du logement au vieillissement de la population (art. 36).

L’article 37 donne la faculté pour les métropoles et les communautés urbaines d’exercer une compétence d’action sociale et de créer un centre intercommunal d’action sociale.

L’article 38 transfère au président du conseil départemental de la responsabilité de la tutelle des pupilles de l’Etat, aujourd’hui exercée par le préfet.

L’article 39 introduit une procédure d’échange d’informations entre l’Etat et les départements concernant la qualité et l’identité des mineurs non accompagnés (MNA).

L’article 40 prévoit le rattachement (par voie de détachement) des directeurs des instituts départementaux de l’enfance et de la famille (IDEF) à la fonction publique territoriale.

Education

Une expérimentation est ouverte pendant trois ans d’un pouvoir d’instruction du président du conseil départemental et du président du conseil régional à l’égard des gestionnaires des collèges et des lycées (art. 41).
 

Culture

L’article 42 permet d’attribuer des subventions pour la création de cinémas conçus pour réaliser moins de 7.500 entrées hebdomadaires ou labellisés art et essai. Un décret en Conseil d’Etat précisera les conditions d’attribution de ces subventions.

Déconcentration

Le troisième volet du projet est de loi concerne la déconcentration afin de « rapprocher l’État du terrain, dans une logique d’appui et de contractualisation avec les collectivités ».

Le préfet de région sera désormais le délégué territorial de l’Ademe pour « garantir sa bonne articulation avec l’action des autres services de l’État » (article 45). Par ailleurs, le rôle du préfet sera renforcé dans l’attribution des aides des agences de l’eau via l’ attribution de la présidence du conseil d’administration des agences de l’eau aux préfets coordonnateurs de bassin où les agences ont leur siège (art. 46).


Le cadre juridique des contrats de cohésion territoriale institués par la loi du 22 juillet 2019 sera déterminé (art. 47). Ces contrats sont conclus pour la mise en oeuvre des projets de développement et d’aménagement territorial entre l’Etat, d’une part et les collectivités et leurs groupements, d’autre part.

Le projet de loi prévoit aussi de permettre aux collectivités de bénéficier d’un soutien du CEREMA en matière d’ingénierie technique (bâtiment, mobilités, infrastructures de transport, environnement et risques, mer et littoral). Le gouvernement est ainsi autorisé à renforcer, par ordonnance, le rôle d’expertise et d’assistance du Cerem au profit des collectivités (article 48).

L’article 49 précisera enfin le rôle, les missions des espaces France Services et la procédure de labellisation.
 

Décomplexification

Enfin, le dernier D est la décomplexification de l’action publique locale afin de simplifier le fonctionnement des collectivités et des établissements de l’État.

Partage de données entre administrations et usagers

Par exemple, l’article 50 prévoit d’accélérer l’échange de données entre administrations au bénéfice de l’usager. Il s’agit d’étendre le dispositif du « Dites le nous une fois », qui évite au citoyen de redonner plusieurs fois la même information à différentes administrations locales ou nationales.

L’article 51 prévoit le renforcement de la capacité de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à faire respecter la réglementation sur la protection des données personnelles.

L’article 52 prévoit aussi l’accélération de la mise en place des Bases adresses locales (BAL) utiles pour le déploiement du très haut débit. Il sera attribué aux communes le rôle de garantir l’accès aux informations relatives à la dénomination des voies et au numérotage des immeubles.

Fonctionnement des institutions locales

 L’article 53 concerne la possibilité pour les assemblées délibérantes locales de déléguer à l’ordonnateur l’admission en non-valeur – autrement dit l’annulation  de créances irrécouvrables dont le montant est faible.

L’article 54 autorise les collectivités, EPCI et leurs établissements publics à effectuer des dons de biens mobiliers (équipements, matériel…) à des associations, d’autres collectivités…

L’article 55 clarifie le délai durant lequel le président de l’EPCI à fiscalité propre peut renoncer au transfert des pouvoirs de police spéciale, dans le cas où une commune au moins a fait connaître son opposition.

Aménagement et environnement

L’article 60 attribue aux syndicats mixtes le droit de préemption des terres agricoles sur les aires d’alimentation des captages d’eau potable. Délégation possible de ce droit aux régies.

L’article 61 donne autorisation expresse (inscrite dans le code de la voirie routière) à l’Etat, aux collectivités territoriales, ainsi qu’aux personnes publiques ou privées de concourir au financement d’ouvrages et aménagements dans le cadre des contrats de concession autoroutiers.

Les règles concernant la protection des alignements d’arbres situés en bordure des routes sont clarifiées (art. 62).

L’article 63 propose le transfert des canalisations de gaz situées entre le réseau public de distribution et le compteur (conduites d’immeubles) aux réseaux publics de distribution de gaz, lorsque ces parties ne sont pas déjà intégrées dans la concession.

L’article 64 prévoit d’obliger les propriétaires de réaliser, au moment de la vente de leur bien immobilier, un diagnostic attestant le raccordement au réseau public collectif d’assainissement.

L’article 65 donne l’habilitation au gouvernement afin de moderniser et simplifier le droit de la publicité foncière par voie d’ordonnance.

Relance

L’article 69 prolonge pour une durée de trois ans de l’expérimentation du transfert de certaines missions dans le réseau des chambres d’agriculture, qui en l’état actuel du droit, doit prendre fin en janvier 2022.

L’article 69 élargit les possibilités de mise à disposition des fonctionnaires de l’Etat auprès des associations.
 

Transparence des entreprises publiques locales

L’article 70 renforce le contrôle exercé par les assemblées délibérantes sur les sociétés d’économie mixte (SEM) locales. Elles se prononcent après débat sur le rapport écrit qui leur est soumis au moins une fois par an par leurs représentants au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.

L’article 71 étend aux sociétés contrôlées par des SEM locales de l’obligation de désigner un commissaire aux comptes. Le contrôle exercé par l’Agence française anti-corruption est étendu à davantage de SEM locales (art. 72).

L’article 73 invalide les délibérations du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et des assemblées générales des SEM locales, si elles ne sont pas communiquées au préfet dans les 15 jours suivant leur adoption.
 

Modernisation des missions des chambres régionales des comptes

Enfin, les chambres régionales des comptes pourront mobiliser leur expertise en amont, pour accompagner les régions et les départements dans l’évaluation de leur politique publique, alors qu’elles jouent seulement aujourd’hui un rôle de contrôle des comptes des collectivités. Concrètement, les départements et régions auront la possibilité de saisir la chambre régionale des comptes d’une demande d’évaluation d’une politique publique relevant de sa compétence. Le rapport donne lieu à un débat au sein de l’assemblée délibérante concernée (art. 74).

Le conseil d’évaluation des normes juge sévèrement le texte

Le Conseil d’évaluation des normes (CNEN) a émis un avis défavorable sur le projet de loi, fin avril. Pour mémoire, le CNEN est une instance que le gouvernement consulte systématiquement sur les projets de loi et de décret qui concernent les collectivités territoriales.

Le CNEN pointe du doigt une « ambition décentralisatrice limitée », et juge que le projet de loi « ne répond que partiellement aux attentes exprimées par les élus locaux d’aller vers une nouvelle étape de la décentralisation ».

Dans son avis, le CNEN dénonce le manque de consolidation du « couple maire-préfet ».

Les critiques spécifiques du CNEN portent sur la gestion des routes, la santé et la politique de l’eau :

  • le transfert expérimental, aux régions qui le souhaiteront, de la gestion de routes nationales tend à revenir sur la logique de blocs de compétences ;
  • la politique locale de l’eau va quant à elle subir une « recentralisation » et les comités de bassin qui en sont responsables risquent de vivre une « déstabilisation ».
  • l’expérimentation d’un pouvoir d’instruction des présidents de département et de région à l’égard des intendants des collèges et lycées.
  • le retrait du transfert des services de médecine scolaire aux départements, prévu dans la première mouture de l’avant-projet de loi.
  • les mesures sur la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) et la place des maires dans la gouvernance des hôpitaux.

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

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