La crise provoquée par l’épidémie de Covid-19 a contraint l’Union européenne et le Royaume-Uni à se concentrer prioritairement sur la réponse à y apporter et a placé la négociation sur leur future relation au second plan. Néanmoins, les négociations ont officiellement repris le 20 avril, selon un calendrier revu, et achoppent toujours sur quatre sujets majeurs, si bien que le bilan de la semaine de négociation, dressé le 24 avril, semble maigre. Le prochain round de négociation est prévu à partir du 11 mai.
I. Reprise des négociations dans un contexte compliqué et selon un nouveau calendrier
1) Nouveau calendrier de négociation, malgré la difficulté de la distance imposée par l’épidémie et les désaccords persistants
L’urgence à répondre rapidement aux conséquences de la pandémie de covid-19 a interrompu brutalement les négociations entre l’UE et Londres, d’autant que les principaux protagonistes étaient tous atteints par le virus à des degrés divers. Le Premier ministre britannique Boris Johnson – rétabli depuis – a été placé en soins intensifs, tandis que le négociateur pour l’Union européenne, Michel Barnier, et le négociateur pour le Royaume Uni, David Frost, étaient atteints tous deux de manière plus bénigne.
Cependant, après une interruption de plus d’un mois puisque la dernière rencontre entre les deux négociateurs date de début mars, les négociations ont repris solennellement leur cours le lundi 20 avril dernier par un entretien en visio-conférence entre les deux négociateurs en chef. Les négociations se sont poursuivies ensuite toute la semaine du 20 au 24 avril entre les onze équipes de négociateurs sectoriels ; puis deux nouvelles sessions de cinq jours sont prévues à partir du 11 mai et du 1er juin.
Certains observateurs et médias ont qualifié cette reprise des négociations de « surréaliste », au motif que la situation présente plaide en faveur d’un report des négociations et par conséquent d’une extension de la période de transition au-delà du 31 décembre 2020 et qu’en outre, les positions de départ des deux parties sont tellement éloignées qu’aucun accord n’est envisageable dans l’immédiat si bien qu’il conviendrait de donner du temps au temps pour que les esprits mûrissent et que se profile un terrain d’entente.
2) Un soutien fragilisé de l’opinion publique au Premier ministre britannique pourrait réduire son avantage
L’état de grâce dont jouissait le Premier ministre britannique – et qui s’était même renforcé au plus fort de sa maladie – semble être terminé depuis que les polémiques se multiplient sur le retard pris par son gouvernement dans la gestion de l’épidémie. Auparavant, l’opinion publique semblait saluer l’esprit combatif du Premier ministre malade et, après une intervention unanimement saluée de la Reine appelant ses sujets à retrouver l’esprit de civisme et d’endurance et le stoïcisme qui caractérisent la nation britannique, le pays s’était retrouvé pour rendre hommage aux personnels médicaux du National Health Service et s’était ému de la levée de fonds de plusieurs millions de livres en leur faveur.
Ces images réconfortantes d’une nation unie dans l’adversité ont laissé place à de sérieuses mises en cause de l’action gouvernementale. La presse d’opposition a relevé que le gouvernement n’avait pas participé au marché public lancé par l’Union européenne pour se procurer du matériel sanitaire et qu’il s’agissait non d’un contretemps mais d’une décision politique délibérée, alors même que le manque de masques, de tests et de respirateurs est encore patent. Le confinement – décidé une semaine après la France – commence certes à porter ses fruits ; les pouvoirs publics peuvent également se réjouir que le pic de l’épidémie semble avoir été atteint le 8 avril dernier et qu’on assiste maintenant à un lent déclin du nombre de morts et de contaminés. Cependant, la stratégie à long terme du gouvernement n’est pas claire et le ministre de la santé s’est avancé en promettant 100.000 tests par jour, alors que ses services parviennent difficilement à en réaliser la moitié et qu’un quart des tests sont inefficaces parce qu’ils sont de fabrication défectueuse. Certes le gouvernement a mis en concurrence deux prestigieux laboratoires, l’Institut Jenner de l’Université d’Oxford et le laboratoire d’Imperial Collège, pour mettre au point et produire un vaccin contre le Covid-19, mais pour l’heure, l’inquiétude l’emporte et les oppositions, notamment celle menée par le nouveau chef du Parti travailliste, redressent la tête.
C’est dans ce contexte devenu plus délicat pour le Premier ministre que s’est ouvert un premier débat sur l’extension de la période de transition. Cette demande d’extension est formulée par les anciens « Remainers » et elle apparaît aux yeux des « Brexiteers » comme leur dernier baroud d’honneur. En effet, l’opinion publique est lasse du feuilleton « Brexit » et semble soutenir la ferme opposition de l’actuel gouvernement à toute extension de la période de transition. Reste à savoir si cette position sera longtemps tenable, surtout si les conséquences de l’épidémie deviennent plus graves et s’ajoutent à celles non encore mesurées d’une sortie sans accord -ou avec un accord minimal- ou tout simplement aux difficultés d’adaptation à un ordre nouveau. La plupart de ceux qui demandent une extension indiquent le faire au nom du réalisme économique et non par désir de rester plus longtemps dans l’Union. Pour l’instant, Boris Johnson maintient son exigence de boucler la négociation du nouvel accord d’ici le 31 décembre prochain. Il n’y aura pas, selon lui, de demande d’extension et dans le cas où la demande en serait faite par l’Union elle-même, il s’y opposerait. Par ailleurs, un maintien prolongé du Royaume-Uni au sein de l’UE impliquerait une participation supplémentaire au budget européen. Un autre débat s’est amorcé sur la question du déconfinement, car le plan du gouvernement se fait attendre. En effet, le gouvernement est désormais pressé de toute part d’annoncer sa stratégie de déconfinement. Il s’est engagé à prendre une décision de déconfinement lors du prochain bilan sanitaire le 7 mai prochain. Ces annonces n’ont pas suffi à calmer les esprits. Le Premier ministre écossais Nicola Sturgeon a annoncé son plan de déconfinement pour l’Ecosse. Le Premier ministre a besoin d’une opinion publique unie, confiante et favorable pour justifier son intransigeance : force est de reconnaître que la crise actuelle risque de perturber ses plans.
II. Quatre pommes de discorde augurent mal d’un accord
1) L’accès aux eaux territoriales britanniques
Peu de temps avant la reprise des négociations, Michel Barnier a rappelé avec fermeté qu’il n’y aurait pas d’accord commercial si le Royaume Uni n’acceptait pas de donner accès à ses eaux territoriales à l’ensemble des pêcheurs de l’Union.
On sait que, sur ce point, les Britanniques, désireux de garder leurs cartes en main le plus longtemps possible, se sont contentés de réaffirmer leur position initiale qui se résume en un principe simple : le recouvrement plein et complet de leur souveraineté sur leurs eaux et en conséquence, ils n’ont pas transmis à Bruxelles leurs propositions écrites détaillées sur cette question. Leur idée générale consiste toutefois à offrir un accès à leurs eaux territoriales, mais selon des conditions négociées chaque année dans le respect de quotas calculés par les experts, quotas destinés à assurer une pêche respectueuse de l’environnement et des grands équilibres écologiques ainsi que le maintien des réserves halieutiques pour les générations à venir. La France, par la voix du Président de la République, a également fait savoir qu’un accord sur la pêche dans les eaux territoriales britanniques était la condition sine qua non d’un accord commercial entre l’Union et le Royaume Uni. Bruxelles maintient que si ce dossier venait à piétiner, les autres chapitres de la négociation resteraient également à l’arrêt.
2) Les règles de concurrence loyale
Bruxelles souhaite que Londres continue à respecter l’ensemble des règles de l’Union encadrant les aides d’Etat ce qui impliquerait la supervision de la CJUE. David Frost a rappelé que le mandat reçu lors du referendum de 2016 était un retour à la pleine souveraineté et que dans ces condi1ons, il n’était pas envisageable que la CJUE ait un quelconque droit de regard sur la législation britannique.
3) Sécurité et justice
En matière de sécurité et de justice, Michel Barnier a posé que toute poursuite d’une collaboration étroite entre le Royaume-Uni et l’Union se ferait sous la supervision de la CJUE et de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ce que David Frost continue à refuser conformément aux lignes directrices de son mandat de négociation.
4) La forme du futur accord
Alors que l’Union européenne envisage un accord global, Londres continue à évoquer des accords sectoriels. Bruxelles souhaite une enveloppe globale fixant les règles de gouvernance et garantissant une concurrence loyale, David Frost continue de répéter qu’un accord de libre échange sur le modèle canadien assor1 de quelques accords sectoriels suffirait à Londres. David Frost a déclaré qu’il espérait que les négociations aboutissent à « un accord basé sur une coopération amicale entre égaux pleinement souverains ».
III. Bilan du second round de négociation au 24 avril 2020
A la fin de la semaine, le gouvernement britannique déplorait des « progrès limités » dans les négociations, mais se réjouissait de quelques lueurs d’espoir sur le commerce, l’énergie, les transports et le nucléaire civil. La partie britannique a souligné à plusieurs reprises son désir de faire respecter le fait que le Royaume-Uni était un Etat indépendant et souverain et, partant, qu’il pouvait traiter en toute légitimité avec l’Union européenne comme le feraient deux puissances « égales et souveraines ». La partie britannique insiste sur les «divergences de principe » qui ne semblent pas pouvoir être surmontées, comme par exemple les règles de concurrence loyale imposées par l’Union qui conduisent, selon elle, à des exigences démesurées qui n’ont jamais figuré dans les précédents traités de libre échange conclus par l’Union avec des pays tiers. De son côté, Michel Barnier a donné une longue conférence de presse vendredi 24 avril sur le bilan de la semaine qu’il a jugé trop maigre et accusé le Royaume-Uni de « ne pas s’engager sérieusement sur un certain nombre de points fondamentaux ». Il a vivement déploré que le Royaume-Uni puisse tout à la fois refuser d’envisager une extension de la période de transi1on et ralen1r le rythme des négocia1ons.
Le négociateur en chef a rappelé deux dates importantes : le 30 juin prochain (date limite pour décider de prolonger ou non la période de transi2on) et le 31 décembre 2020 qu’il a qualifié de «jour ixé pour le Brexit économique » soulignant que le temps était donc compté. Il a en conséquence demandé à nouveau que des progrès tangibles soient faits avant le mois de juin afin d’aboutir à un accord reflétant l’interdépendance économique qui existe entre le RU et l’UE et la proximité géographique qui les unit. Le négociateur a fait état du fait qu’alors que Bruxelles avait transmis – comme base de discussion – un projet de traité complet à Londres, la partie britannique s’était contentée d’envoyer à Bruxelles des propositions de texte sur certains sujets.
CALENDRIER :
Du 11 au 15 mai 2020 : poursuite des négociations
Du 1er au 5 juin 2020 : poursuite des négociations
Mi-juin 2020 : rencontre entre Ursula von der Leyen et Boris Johnson
Juin : – prochaine réunion du comité mixte UE – UK pour la mise en œuvre de l’accord de retrait – décision du Royaume-Uni de poursuivre ou non les négocia1ons sur un accord définissant la relation future avec l’UE
1er juillet : date butoir pour demander une extension de la période de transi1on d’un ou deux ans
31 décembre : fin de la période de transition