Quelle relation entre l’UE et le Royaume-Uni après le Brexit ?

Le 31 janvier à minuit (heure de Bruxelles), le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne, 47 ans après son adhésion. Le pays reste cependant au sein de l’union douanière et du marché unique européens pendant une période de transition courant jusqu’à la fin de l’année 2020. Le temps de négocier les termes d’un accord de libre-échange avec l’Union ?

 

Retour sur les dernières étapes du Brexit

Le 17 octobre 2019, le Royaume-Uni et l’Union Européenne ont réussi à se mettre d’accord sur un certain nombre de modifications à intégrer à l’accord négocié à l’automne 2018, l’UE ayant accepté de revenir sur l’accord de novembre 2018 à la demande du Premier ministre Boris Johnson – une renégociation qu’elle avait pourtant toujours refusée à l’ancienne Première ministre Theresa May. Le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord et la déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ont ainsi été revus.

Le 22 janvier 2020, le Parlement britannique a validé la loi qui traduit les dispositions dans le droit britannique. L’accord de retrait révisé a été promulgué par la reine Elizabeth II le 23 janvier. Le 24 janvier, les présidents de la Commission européenne et du Conseil ont pour leur part signé le document, ouvrant la voie à une ratification par le Parlement européen. Les députés européens ont approuvé l’accord de retrait le 29 janvier par 621 voix pour, 49 contre et 13 abstentions.

 

Irlande du Nord : le « filet de sécurité » renégocié

Après le retrait du Royaume-Uni de l’Union, les 500 kilomètres qui séparent l’Irlande du Nord (province britannique) de la République d’Irlande (État membre de l’Union européenne) deviennent une frontière extérieure de l’UE. Le retour potentiel d’une frontière physique entre ces deux entités risque cependant de mettre en cause l’accord du Vendredi saint (Good Friday Agreement) conclu en avril 1998, qui a notamment permis de dématérialiser la frontière, auparavant gardée par des militaires, et de désarmer les milices des deux camps. Ce risque a constitué pendant plusieurs mois le principal écueil dans les négociations sur le Brexit.

L’accord de retrait signé le 14 novembre 2018 par Theresa May et les négociateurs européens garantissait les acquis de l’accord du Vendredi saint par un dispositif provisoire appelé backstop ou filet de sécurité, destiné à éviter le rétablissement d’une frontière physique. Jusqu’à l’adoption d’un accord commercial, ce dispositif maintenait l’Irlande du Nord sous l’autorité régulatrice de l’Union et créait un « territoire douanier unique ». Or pour le Premier ministre Boris Johnson, ce dispositif était inacceptable. Ces partisans et lui-même redoutaient un maintien prolongé du Royaume-Uni dans l’union douanière avec l’UE.

Dans le nouvel accord, la totalité du Royaume-Uni sort de l’Union douanière européenne après la période de transition, ce qui lui permet la signature d’accords de libre-échange avec d’autres pays. La province britannique d’Irlande du Nord n’est plus dans l’union douanière avec l’UE, mais elle reste toutefois alignée sur un ensemble limité de règles du marché unique (règles sanitaires, TVA, etc.). Il n’y a pas de contrôle entre l’Ulster et la République d’Irlande mais des contrôles sur les produits importés en Irlande du nord depuis le Grande-Bretagne et qui ont vocation à entrer sur le territoire européen.

Il s’agit d’une certaine manière de deux formes du Brexit : un Brexit « dur » (hard Brexit) pour l’ensemble de la Grande-Bretagne (90% de la population du Royaume-Uni) et un Brexit « doux » (soft Brexit) pour l’Irlande du Nord, aménagé en fonction des spécificités de la province.

 

Une nouvelle déclaration politique

La déclaration politique qui dessine les contours de la future relation commerciale entre le Royaume-Uni et l’Union européenne a également été renégociée par Boris Johnson. La Première ministre Theresa May avait envisagé des liens forts entre le pays et l’Union destinés à faciliter un large accord de libre-échange profitable aux deux camps. L’objectif premier de Boris Johnson étant, au contraire, de conclure de nombreux accords de libre-échange avec des pays tiers, en particulier avec les États-Unis, cela suppose une liberté de manœuvre qu’une relation étroite avec l’Union européenne ne saurait lui autoriser.

En outre, si le Premier ministre n’a pas réussi à supprimer le lien entre l’accord de libre-échange et le principe de conformité aux standards européens en matière de droits des travailleurs, du droit de la concurrence, et dans le domaine de l’environnement, ces garanties ne figurent plus dans l’accord de retrait. Elles ont en effet été intégrées à la déclaration politique qui n’est pas juridiquement contraignante.

Les enjeux de la relation future

La déclaration politique évoque une relation économique future souple et fondée sur un accord de libre-échange, sans quotas, sans tarifs douaniers, dans le cadre de règles du jeu équitableslevel playing field ») comme le réclamait l’Union européenne, mais avec la possibilité pour le Royaume-Uni de diverger par rapport aux règles du marché unique afin de poursuivre une politique commerciale plus indépendante.

Certains de ses partenaires soupçonnent toutefois le Premier ministre britannique de vouloir à moyen terme instaurer une économie dérégulée pour permettre la création d’un « Singapour en mer du Nord », qui, selon la chancelière fédérale allemande, Angela Merkel, ferait du Royaume-Uni un concurrent au même titre que la Chine.

Le négociateur en chef de l’UE Michel Barnier a cependant averti Londres que « l’accès à nos marchés sera proportionnel à l’engagement pris par les britanniques de respecter un certain nombre de règles, que ce soit les règles d’aides d’État, environnementales, économiques et sociales. »

Ce qui est attendu de l’accord sur la relation future UE-Royaume-Uni

Dans une résolution votée mercredi 12 février adoptée par 543 voix pour, 39 contre et 69 abstentions, le Parlement européen a demandé que le futur accord d’association avec le Royaume-Uni soit aussi large que possible et se base sur trois piliers principaux : un partenariat économique, un partenariat sur les affaires étrangères et des questions sectorielles spécifiques. Ce futur accord devra en outre respecter l’intégrité du marché unique et de l’union douanière.

La déclaration politique prévoit non seulement un accord commercial qui doit rapprocher les deux partenaires au plus près de la situation actuelle de libre-échange, mais aussi un accord capital et très attendu sur la pêche, sans lequel aucun bateau européen ne pourra caboter en mer du Nord.

Compte tenu de leur proximité géographique, les deux partenaires souhaitent mettre en place un nouveau partenariat de sécurité au sens large. Les Britanniques ont fait savoir qu’ils souhaitaient rester connectés au Système d’information Schengen (SIS), à l’agence européenne de coopération policière Europol et judiciaire Eurojust et participer au mandat d’arrêt européen. Les services de renseignement intérieur et l’Union devront maintenir des relations intenses pour assurer la lutte contre le terrorisme. Londres souhaite aussi rester membre de l’Agence européenne du médicament, de l’Agence des produits chimiques et l’Agence européenne de la sécurité aérienne, etc.

Sur le plan de la Défense, où les deux camps souhaitent maintenir des relations étroites, le Royaume-Uni devrait pouvoir participer au cas par cas à des opérations de défense commune et se joindre à tous les outils et organes de la future défense européenne y compris le Fonds européen de défense.

Enfin, concernant la place des services financiers dans la future relation, Michel Barnier a affirmé « qu’il ne doit pas y avoir d’illusion sur cette question : il n’y aura pas d’équivalence générale, globale ou permanente sur les services financiers. Et il n’y aura pas non plus de cogestion d’équivalence financière avec le Royaume-Uni. Nous garderons la maîtrise de ces outils et nous garderons l’autonomie de décision », a insisté le Français.

D’un point de vue général, Michel Barnier a déclaré aborder les négociations sur la relation future de l’UE avec le Royaume-Uni avec « détermination, sans naïveté. » Il a par ailleurs confirmé que l’Union européenne fixerait « le niveau des droits de douanes en fonction des engagements pris pour respecter un accord libre et équitable » par le Royaume-Uni.

 

La question des délais

Boris Johnson, tout à sa promesse de sortir son pays au plus vite de l’Europe, veut avoir achevé les négociations fin 2020. Ce qui laisse onze mois pour abattre un travail colossal. Le modèle officiellement retenu jusqu’ici par Downing Street, celui du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, a nécessité sept années de négociation. Encore celui-ci n’abolit-il pas tous les droits de douane et maintient-il des quotas sur certains produits comme le bœuf. L’accord commercial avec le Japon entré en vigueur en 2019 a pris quatre ans, celui plus ancien avec la Corée du Sud deux ans et demi.