Brexit : point d’étape – septembre 2019

Le 28 août,  Boris Johnson, arrivé sans surprise le 25 juillet à la tête d’un Royaume plus désuni que jamais, a choisi de suspendre  le Parlement britannique du 9 septembre au 14 octobre. Cette décision, très largement perçue comme une manœuvre anti-démocratique muselant un Parlement opposé à un Brexit sans accord, a entraîné une vague d’indignation au sein de la société britannique, jusque dans les rangs du parti conservateur. S’en est suivie une semaine chaotique pour le Premier ministre, qui a perdu sa majorité parlementaire et s’est vu infliger six défaites en six jours à la Chambre des communes. Les atermoiements et rebondissements des Britanniques placent les Européens devant un dilemme quant à une éventuelle nouvelle demande britannique de report de la sortie du Royaume-Uni au-delà du 31 octobre, demandée par Westminster, même si les intentions du gouvernement de Boris Johnson restent à ce stade indéchiffrables. L’absence de contre-proposition britannique au « backstop » et l’absence de re-négociation de l’accord de sortie rendent désormais probable une sortie sans accord.

1.      Le Parlement britannique suspendu après avoir infligé six défaites au Premier ministre

Après avoir repris la main sur l’ordre du jour (mardi 3 septembre) habituellement fixé par le gouvernement, le Parlement britannique a adopté une loi imposant au gouvernement de demander une extension de l’article 50 si aucun accord n’est trouvé avant le 19 octobre. Outre cette défaite législative, le Premier ministre a perdu sa majorité au Parlement (mercredi 4 septembre) après que 21 rebelles conservateurs, exclus par la suite du parti, se sont ralliés aux députés de l’opposition pour empêcher un Brexit sans accord. Pour finir, les députés britanniques ont, à deux reprises (jeudi 5 septembre, lundi 9 septembre), mis en échec la proposition de Boris Johnson de déclencher des élections générales anticipées d’ici le 15 octobre. Ce rejet est le fait de l’abstention du Parti travailliste, souhaitant en premier lieu  obtenir la garantie du report du Brexit avant d’envisager une élection. Enfin, la Chambre des communes a adopté une loi (lundi 9 septembre) pour contraindre le gouvernement à publier des documents confidentiels sur l’impact d’un Brexit sans accord.

2.      Des options restreintes pour Boris Johnson

À ce jour, le Parlement est suspendu jusqu’au 14 octobre. Cette prorogation, d’une durée de cinq semaines consécutives, a été jugée « illégale », « nulle et sans effet » par la justice écossaise le 11 septembre. La cour d’appel d’Édimbourg a en effet estimé que cette décision avait pour but d’entraver le Parlement. Le gouvernement britannique a immédiatement annoncé qu’il formait un recours contre cette décision auprès de la Cour suprême, qui pourrait examiner l’appel dès le 17 septembre.
Par ailleurs, le Premier ministre n’exclut toujours pas une sortie sans accord s’il ne parvient pas à un nouveau compromis avec l’Union européenne. Il a toutefois assuré, mardi 10 septembre, vouloir se démener pour trouver un nouvel accord de divorce avec l’UE -les Européens ayant par ailleurs répété que l’accord de sortie ne serait pas renégocié-.
L’étau semble se resserrer sur le Premier ministre dont les options s’amenuisent : soit il parvient à conclure un accord avec les responsables européens d’ici le 19 octobre (les députés entendaient laisser au Premier ministre jusqu’au Conseil européen pour négocier, mais les chances d’obtenir un accord au cours des six prochaines semaines paraissent minces), soit il se résout à demander un nouveau report, qui devra encore être approuvé à l’unanimité des 27 autres États membres de l’Union européenne. Boris Johnson qui s’est engagé à sortir « coûte que coûte » le Royaume-Uni de l’Union (« do or die ») ne semble toutefois pas enclin à demander un nouveau report (cf. ses déclarations du lundi 9 septembre, date postérieure à l’entrée en vigueur, après l’assentiment de la Reine, de la loi l’obligeant à demander ce report). Cette troisième option serait sans précédent et approfondirait considérablement la crise constitutionnelle britannique. La quatrième option serait celle de la démission, ce qui signerait certainement la fin de sa vie politique.

3.      Faute de solution alternative au backstop, les négociations entre Londres et Bruxelles font du surplace

À Bruxelles, les 27 États membres de l’Union européenne affichent toujours la même unité et fermeté face à l’absence de propositions alternatives britanniques. Le négociateur européen Michel Barnier exclut de renégocier l’accord conclu entre l’UE et le Royaume-Uni par l’ex-chef du gouvernement Theresa May et s’en tient à la ligne fixée : pas de renégociation de l’accord de sortie. Sur le backstop, la clause de sauvegarde irlandaise, que Boris Johnson veut absolument modifier, l’UE a toujours indiqué que cette solution était « faute de mieux ». Le Premier ministre britannique qui ne cesse de répéter qu’il y a d’abondantes solutions alternatives au backstop n’a à ce stade proposé  « aucune alternative réaliste », selon Donald Tusk, Président du Conseil européen. La proposition faite le 6 septembre par David Frost, négociateur en chef britannique pour le Brexit, de mettre en place sur l’île irlandaise une zone commune où s’appliqueraient les normes sanitaires et phytosanitaires européennes (SPS) après le Brexit a été rejetée par les négociateurs européens, qui la jugent insuffisante. D’après Natasha Bertaud, porte-parole de la Commission européenne, le Premier ministre britannique « ne fournit pas de solution opérationnelle légale pour empêcher le retour d’une frontière physique sur l’île d’Irlande ». S’il reste « déterminé à explorer toutes les pistes que le gouvernement britannique présentera et qui sont compatibles avec l’accord de retrait », Michel Barnier s’est déclaré « peu optimiste ». Les dernières rencontres entre la Brexit Taskforce et David Frost ont eu lieu les 4 et 6 septembre 2019.

4.      L’Union européenne entre la perspective d’un troisième report et les préparatifs d’un hard Brexit (=sans accord)

Pour l’instant, la possibilité d’un nouveau report du Brexit reste hypothétique. Une demande « justifiée » devrait être formulée par Boris Johnson, malgré sa promesse électorale de sortie de l’Union le 31 octobre. Les chefs d’État et de gouvernement, réunis les 17 et 18 octobre à Bruxelles, seront alors sous pression :  une troisième prolongation assortie de la promesse d’organiser une nouvelle élection sera-t-elle accordée ? Le précédent report avait fait l’objet d’une âpre négociation (la France étant favorable au report le plus court possible). Amélie de Montchalin, la ministre française en charge des Affaires européennes, a rappelé, le 5 septembre, qu’un énième report ne résoudrait pas la question de fond : « Il faut que les Britanniques sachent nous dire ce qu’ils veulent ».
Face à cette incertitude, les préparatifs d’une sortie sans accord continuent de s’intensifier. Les Européens achèvent de se préparer aux perturbations inévitables d’un no deal : la Commission européenne a encore émis, cette semaine, une série de recommandations à l’égard des entreprises qui commercent avec le Royaume-Uni et des particuliers. Par ailleurs, l’UE pourrait mettre en place une assistance financière d’urgence pour les États membres les plus touchés par les retombées économiques d’un éventuel Brexit sans accord. La Commission européenne propose une réforme du Fonds de solidarité de l’UE, créé en 2002 pour soutenir les gouvernements nationaux et régionaux en cas de catastrophe majeure. Enfin, l’Union européenne a prévu qu’en cas de Brexit dur, elle mettrait immédiatement en place des contrôles douaniers, des inspections de sécurité alimentaire et de vérification des normes européennes aux frontières avec le Royaume-Uni. Pour les contrôles des points de passages vers le Royaume-Uni, en particulier Calais et Dunkerque, « des tests en conditions réelles seront réalisés par les douaniers français afin de vérifier que tout est prêt », a indiqué le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, également ministre de tutelle de la douane. Au total, 600 douaniers ont été « recrutés, formés et seront en poste » pour encadrer les échanges commerciaux et de personnes, a-t-il précisé