Le chiffre du mois : -0,004 %
Pour la première fois de son histoire, le taux d’emprunt à 10 ans de la France est passé sous la barre des zéro pour cent : à -0,004 %. « Inespérée » ou « délirante » / « bénédiction » ou « risque », cette anomalie financière divise les économistes. Explications.
Contexte
La France s’apprête à solliciter les investisseurs du monde entier pour émettre un nouvel emprunt remboursable dans dix ans. Il va devoir lever 200 milliards d’euros pour refinancer sa dette et payer son déficit budgétaire. L’opération n’a rien d’inhabituel mais, cette année et pour la première fois, les taux d’intérêt seront négatifs.
Cela a tout l’air d’une aubaine, pour l’Etat qui va réduire la charge de sa dette et pour les particuliers qui devraient bénéficier de taux de crédits immobiliers plus faibles. L’Etat va s’enrichir en s’endettant.
Qu’est-ce qu’un taux négatif ?
Le principe est que le prêteur va retrouver moins d’argent que ce qu’il n’a prêté. Il a donné 100, il ne retrouvera que 99,8. Ce système concerne principalement les Etats. Mais certaines entreprises très bien cotées ont pu se financer à taux négatifs (Nestlé, Sanofi par exemple).
En Europe, cette pratique devient de plus en plus courante et la France vient se rajouter à la liste de pays se finançant à taux négatif : Suisse, Suède, Danemark, Allemagne, Japon. Le stock de la dette mondiale à taux négatif avoisine 12 000 milliards de dollars.
Pourquoi ?
C’est une conjonction de plusieurs facteurs. D‘abord en raison de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne qui achète de la dette et des obligations d’Etat. Plus elle achète, plus le prix monte, plus le taux baisse, et il peut même descendre jusqu’à zéro. La Banque Centrale Européenne a massivement soutenu les économies et les Etats en rachetant aux banques les obligations d’Etat qu’elles avaient souscrites. Très clairement c’est ce qui a permis à l’Italie et à l’Espagne de tenir. L’idée de la BCE a été certes de fournir des liquidités, à travers ses rachats aux banques mais en contrepartie, d’obliger les banques à utiliser cet argent pour le financement de l’économie. Si elles ne le font pas, elles se retrouvent alors avec de la trésorerie sur leur compte à la BCE qui pratiquent à leur égard un taux d’intérêt négatif. En bref, les banques perdent de l’argent sur la trésorerie qu’elles n’arrivent pas à utiliser. D’où l’intérêt pour elles, de prêter à des Etats sûrs en acceptant une toute petite perte plutôt qu’une perte plus lourde.
Puis, les investisseurs cherchent des actifs sûrs, face à des perspectives économiques compliquées. Les dettes des Etats constituent des placements sûrs dont ils ont besoin pour leur bilan.
Une bonne nouvelle pour le contribuable
C’est bien sûr une bonne nouvelle pour le contribuable puisque la charge des Etats diminue. Une partie des mesures de soutien au pouvoir d’achat annoncée par le Président de la République sont en réalité financées par cette baisse des taux d’intérêt.
Tout le problème pour l’avenir réside dans le risque de remonter les taux d’intérêt. Et si oui, quand ?
C’est aussi une bonne nouvelle pour les ménages concernant les taux d’intérêts immobiliers qui vont mécaniquement baisser.
Mais pour les épargnants qui ont placé l’essentiel de leurs fonds en obligations, notamment via un contrat d’assurance-vie, la nouvelle n’est pas bonne. Le rendement des fonds en euros, investis pour une bonne part en obligations, s’enfonce, même si ces fonds sont constitués d’un stock de titres anciens, qui rapportent davantage.
Un risque à long terme pour l’économie ?
Certains économistes estiment que cette situation comporte un risque non négligeable à long-terme et des répercussions macro-économiques inquiétantes.
Elle pourrait avoir un effet négatif sur le comportement des acteurs économiques qui s’exposent à un phénomène d’accoutumance, qui pourrait les pousser à s’endetter encore et encore.
Quant à la santé financière des banques, leur rentabilité va diminuer étant donné que plus les taux sont bas et plus c’est compliqué pour elles de gagner de l’argent.
Enfin, l’envol des prix de l’immobilier, avec le risque de formation d’une bulle.