J’ai écouté très attentivement les débats à l’Assemblée et espère avoir les idées claires.
Monsieur Zucman pose une bonne question et apporte une mauvaise réponse.
La question qu’il pose est à prendre avec le plus grand sérieux : celle de la fiscalisation des ultra-riches.
L’impôt en France est progressif. Plus les revenus sont importants et plus l’impôt l’est également mais à un certain niveau se produit un plateau puis une dégressivité. Autrement dit, les « ultra-riches » paient moins que les « riches ».
Pourquoi cette anomalie ? Elle tient à ce que la richesse des « ultra riches » (53 français auraient aujourd’hui un patrimoine supérieur à 1 milliard d’euros) est constituée par les actions de sociétés cotées en bourse dont ils sont souvent l’actionnaire de référence.
Il s’agit de biens professionnels qui peuvent atteindre des montants considérables. Chacun connaît les exemples de Monsieur Elon Musk ou de Monsieur Jeff Bezos. La société américaine ayant la plus grande valorisation Nvidia qui produit les micro-processeurs pour l’IA dépasse les 5 mille milliards de dollars, c’est-à-dire près du double du PIB de notre pays !
Ces « ultras riches » ont comparativement des revenus qui paraitraient à chacun d’entre nous très importants mais qui sont marginaux par rapport à la valeur boursière des actions détenues.
Ces actions peuvent être fiscalisées au titre des plus-values lorsqu’ils vendent, ou au titre des droits de succession lorsqu’ils décèdent. Les dividendes sont de même fiscalisés. Mais quid de la situation dans laquelle ils gardent ces actions ou de celles dans laquelle les sociétés distribuent peu ou pas de dividendes ?
L’idée de Monsieur Zucman serait de fiscaliser à titre de plancher à hauteur de 2% le montant des actions détenues (le patrimoine) quels que soient les revenus.
Est-ce que cela peut fonctionner ?
Malheureusement non puisqu’il s’agit de capitaux mobiles, de sociétés qui peuvent être cotées à Paris aujourd’hui ou demain à New-York de la même manière que les résidences fiscales peuvent être modifiées. Et nous avons à ce jour 125 traités bilatéraux pour éviter les doubles impositions avec en particulier tous les autres pays occidentaux.
La seconde difficulté est liée au fait que l’entreprise ne peut pas être confondue avec le patrimoine de son actionnaire. C’est toute la question des start-ups qui peuvent accumuler les pertes, dont leurs actionnaires peuvent ne pas avoir de revenu mais dont la valorisation peut être importante.
Il n’existe alors ni dans le patrimoine de l’actionnaire, ni dans le patrimoine de l’entreprise, les moyens de payer une fiscalité. C’est ce que notre dernier prix Nobel Monsieur Aghion explique en disant que le promoteur de la taxe ne connaît ni l’entreprise, ni la croissance !
Enfin la taxe Zucman est manifestement inconstitutionnelle et la ministre du budget a donné en séance lecture de l’avis du Conseil d’État, qui avait été sollicité, concluant à l’inconstitutionnalité. Cette question est ancienne et s’est posée avec l’ISF et les pêcheurs de l’île de Ré qui expliquaient que leurs maisons et leurs terrains valaient des fortunes mais qu’ils n’avaient pas de revenu pour payer.
Le Conseil Constitutionnel a rendu plusieurs décisions et je vous joins les commentaires du Conseil Constitutionnel faisant le point du sujet sous une décision de 2019, c’est-à-dire bien avant notre débat actuel.
Lire la décision n° 2018-755 QPC du 15 janvier 2019 – Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel explique que malgré le droit de propriété, il est possible de prendre à l’un de nos concitoyens une partie de son patrimoine sauf à ce que cette fiscalité devienne confiscatoire.
Le Conseil Constitutionnel a en résumé jugé qu’il était possible d’imposer le capital dans la limite pour les uns de 75% du revenu disponible du contribuable et pour les autres de 85%.
Toute notre difficulté vient du fait que pour ces fameux « ultra riches », les revenus étant marginaux par rapport à l’énormité des patrimoines, le plafonnement constitutionnel à 75 ou 85% du revenu aboutirait à des résultats sans commune mesure avec les milliards qui ont pu être annoncés.
La taxe Zucman a été imaginée comme un impôt mondial et peut difficilement être envisagée à l’échelle d’un seul pays, a fortiori avec nos règles nationales. Et aucun autre pays n’a envisagé d’adopter une telle taxe et notamment par les USA à qui elle avait été proposée en premier.
Je reste cependant très attentif à la réflexion à mener pour trouver une bonne réponse ou du moins une meilleure réponse à une question dont je ne conteste pas la pertinence en terme d’équité fiscale.
