Infléchir le recours massif aux ordonnances

Face au recours abusif aux ordonnances par l’exécutif, le Sénat a adopté une une proposition de loi constitutionnelle visant à restaurer leur ratification par le Parlement. 51% des textes intervenus dans le domaine législatif entre 2007 et 2020 proviennent en effet d’ordonnances. Autre problématique de taille, dans une décision du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a reconnu aux ordonnances non ratifiées par le Parlement une valeur législative.Pourquoi et comment rationaliser ce phénomène pour redonner toute sa place au Parlement dans l’écriture de la loi ?

Qu’est-ce qu’une ordonnance ?

Le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre lui-même des mesures relevant normalement du domaine de la loi, afin de mettre en œuvre son programme (art. 38 de la Constitution). L’autorisation lui est donnée par le vote d’une loi d’habilitation. Ces actes sont appelés des ordonnances.

Une nouvelle manière de gouverner « par ordonnance » qui fragilise le débat démocratique

Depuis le début des années 2000, le nombre d’ordonnances adoptées sur le fondement de l’article 38 de la Constitution est en forte augmentation. Les gouvernements ont souvent recouru à cette procédure pour des sujets techniques ou des réformes délicates.

La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer le phénomène avec une succession de projets de loi d’état d’urgence sanitaire habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances. A titre d’exemple, au cours de l’année 2020, 90 habilitations en lien avec la pandémie de covid-19 ont été octroyées.

Selon un rapport sénatorial publié en 2020, « sur la période 2012-2018, le nombre d’ordonnances dépasse celui des lois adoptées selon la procédure ordinaire ». Une étude de la Direction de la séance du Sénat montre quant à elle que 51% des textes intervenus dans le domaine législatif entre 2007 et 2020 proviennent d’ordonnances.

Il semblerait donc que lors de cette mandature, recours à la procédure accélérée pour l’examen des projets de loi et recours aux ordonnances aient connu une inflation record.

Les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle (PPLC) fustigent donc la « législation par voie gouvernementale » et mettent en garde contre une substitution du législatif par l’exécutif et contre une fragilisation du débat démocratique.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel dans le viseur

Autre problématique de taille, dans une décision du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a reconnu aux ordonnances non ratifiées par le Parlement une valeur législative.

Par cette décision, le Conseil constitutionnel a, de façon inédite, déduit qu’à compter de l’expiration du délai d’habilitation indiqué dans le projet de loi d’habilitation, certaines dispositions des ordonnances « doivent être regardées comme des dispositions législatives ».

Selon cette délibération, une ordonnance non ratifiée acquiert rétroactivement valeur de loi à compter de la fin du délai d’habilitation, dès lors que le projet de loi de ratification a été déposé dans le délai imparti. Elle peut donc être validée sans que le Parlement ne débatte de sa conformité à la volonté du législateur, telle qu’énoncée dans la loi d’habilitation.

Pourtant, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le constituant avait fait valoir, à l’appui de la ratification explicite, sa volonté d’une discussion parlementaire préalable à toute modification du paysage législatif. L’affirmation de la ratification parlementaire des ordonnances s’est matérialisée par l’introduction du 2ème alinéa à l’article 38 qui dispose « Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ». Cette volonté s’appuyait sur le principe du régime représentatif selon lequel la loi, expression de la volonté générale, ne peut naître que de la délibération publique.

Que contient la proposition de loi sénatoriale ?

Face à ce phénomène, la proposition de loi constitutionnelle examinée par le Sénat entend réaffirmer la volonté du constituant de 2008 en modifiant l’article 38 afin que des dispositions prises par ordonnance dans le domaine de la loi ne puissent acquérir de valeur législative avant d’avoir été expressément ratifiées par le Parlement.

Le texte comporte trois articles qui modifient les articles 38, 61 et 61-1 de la Constitution.

L’article 1 inscrit dans l’article 38 que les dispositions des ordonnances prises dans le domaine législatif n’acquièrent force de loi qu’à compter de leur ratification expresse. Jusqu’à cette ratification, le Gouvernement est tenu d’abroger les dispositions d’une ordonnance qui contreviennent à une exigence constitutionnelle ou d’en supprimer un ou plusieurs extraits.

Il vise également à mieux mieux encadrer le recours aux ordonnances afin d’imposer au Gouvernement de rattacher sa demande d’habilitation à l’exécution de son programme ou de sa déclaration de politique générale au sens de l’article 49 de la Constitution, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il limite enfin le délai de ratification qui ne pourra excéder douze mois à compter de la promulgation de la loi d’habilitation.