Projet de loi confiance dans la Justice

Le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » sur lequel j’ai travaillé en tant que rapporteur a été voté au Sénat le 30 septembre dernier. Un mois après, il a fait l’objet d’un compromis en commission mixte paritaire; compromis qui préserve certaines avancées obtenues par le Sénat. Près de 200 amendements avaient été déposés sur un texte dont l’ambition est de corriger l’image dégradée dont souffre la justice aux yeux d’un grand nombre de nos concitoyens.

Le secret professionnel des avocats

L’article 3 a donné lieu à de longs débats juridiques et passionnés, sous la pression des barreaux. Cet article tendait à renforcer la protection du secret professionnel de l’avocat lorsqu’il est procédé à son encontre à une perquisition, des réquisitions de données de connexion (dont les désormais bien connues « fadettes ») ou une écoute téléphonique, notamment en prévoyant une autorisation du juge des libertés et de la détention lorsqu’il existe des « raisons plausibles » de soupçonner l’avocat.

Au cours de la discussion devant l’Assemblée nationale, la portée de cet article a été considérablement élargie. La protection du secret professionnel de l’avocat (qui concerne actuellement son rôle de défense) a été étendue à l’activité de conseil et les députés ont introduit un mécanisme de protection ad hoc pour les documents couverts par le secret professionnel de l’avocat saisis chez un tiers. Ils ont également adopté une disposition prévoyant une présence active de l’avocat en perquisition.

En commission des Lois, nous sommes revenus sur la rédaction de l’Assemblée nationale sur l’extension du secret professionnel de l’avocat, en matière pénale, à leur activité de conseil, tout en lui ont apportant une limite : ce secret étendu aux activités de conseil ne sera pas opposable « en matière de fraude fiscale, de corruption et de trafic d’influence, ainsi que de blanchiment de ces délits ».

La commission également supprimé la disposition relative à la présence de l’avocat en perquisition, estimant opportun de ne pas alourdir les modalités d’enquête alors qu’il existe déjà des garanties en cas d’audition.

J’ai défendu jusqu’au bout la position de la commission qui a finalement été adoptée en séance.

En commission mixte paritaire, c’est notre version plus restrictive qui a été retenue dans une forme légèrement amendée. Elle conserve les exceptions voulues par le Sénat.

« Si vous donnez une extension illimitée, vous ne permettez pas à notre société de lutter correctement contre la corruption ou la fraude fiscale. »

Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour la commission des lois

L’enquête préliminaire

L’article 2 du projet de loi limitait à deux années (qui peuvent être portées à trois) la durée des enquêtes préliminaires, qui n’en avaient pas jusqu’ici.

La commission des lois a aligné les affaires de fraude fiscale, corruption et le blanchiment de capitaux sur le même régime que les délits en bande organisée ou le terrorisme : trois ans maximum d’enquête préliminaire, avec la possibilité de prolonger de deux années supplémentaires.

Ce genre d’affaires est en effet complexe. Il nous a semblé impossible de mener les enquêtes en deux ans, sur une matière financière et économique qui nécessite des actes à l’étranger, et des enquêteurs spécialisés dont la France manque.

« La proposition de la commission concerne le noyau dur de la délinquance financière : fraude fiscale, corruption et blanchiment. Ces affaires sont complexes et demandent un traitement long avec des enquêteurs spécialisés. À Paris, un ancien procureur nous a dit qu’à son départ, 577 enquêtes de fraude fiscale grave étaient pendantes, avec trois enquêteurs pour les traiter. Si nous les enserrons dans le délai de deux ans, ces affaires ne seront pas traitées. De plus, comment justifier une différence de traitement entre corruption internationale et corruption interne ? »

Philippe bonnecarrere, rapporteur de la commission des lois

 Le projet de loi proposait initialement de généraliser les cours criminelles départementales (sans jurys populaires) déjà installées dans quelques départements au 1er janvier, sans même attendre la fin de l’expérimentation, prévue pour mai.

L’avertissement pénal probatoire, la future réponse pénale qui prendra le relais du rappel à la loi

Le Président de la République avait annoncé la suppression du rappel à la loi prononcé par les officiers de police judiciaire, en clôturant le Beauvau de la sécurité, le 14 septembre. Le Parlement l’a acté en votant l’article 10 du projet de loi.

Les sénateurs ont donc accepté la solution introduite par le gouvernement au Sénat pour prendre le relais du rappel à la loi, cette alternative aux poursuites, supprimée à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle disposition consistera toujours à rappeler à l’auteur d’une infraction les obligations de la loi et les peines encourues. S’il commet une nouvelle infraction dans un délai de trois ans, la justice pourra engager des poursuites.

En commission mixte paritaire, le Sénat n’a cependant pas obtenu gain de cause sur sa version de l’avertissement pénal probatoire. Le texte de la commission mixte paritaire signe un retour au délai d’un an, inscrit initialement par le gouvernement.

Pour information, on en recense 270 000 par an. Cette alternative aux poursuites, dans le cas de petits délits du quotidien, représente un cinquième de la réponse pénale en France. Mais cette procédure n’est plus efficace : « Bon, on va se dire les choses très clairement : ce rappel à la loi est devenu au fil du temps totalement obsolète. Il n’impressionne plus que les gens honnêtes », a constaté le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.