Femmes et ruralités : comment résorber les zones blanches de l’égalité ?

A l’issue de dix mois de travaux, la délégation aux droits des femmes du Sénat a publié son rapport : Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l’égalité. Au travers de huit thématiques principales, le rapport pointe les difficultés et obstacles que rencontrent les 11 millions de femmes vivant dans les territoires ruraux, à tous les âges et dans tous les aspects de leurs vies. Le rapport met aussi en lumière les solutions innovantes, initiatives et réseaux de solidarité qui émergent au niveau local.

Une femme sur trois vit en zone rurale. Pourtant, le sujet de l’égalité femmes-hommes est complètement absent de l’agenda rural. La délégation aux droits des femmes du Sénat formule 70 recommandations et appelle le Gouvernement à pleinement intégrer les problématiques spécifiques aux femmes au sein de son Agenda rural, articulant ainsi égalité femmes-hommes et égalité territoriale.

Un déficit de mobilité individuelle comme collective

Les femmes vivant dans les territoires ruraux rencontrent des difficultés de mobilité, faisant peser des difficultés sur leur vie tant personnelle que professionnelle.

Alors que la voiture est souvent indispensable pour les déplacements en zone rurale et qu’elle constitue souvent un critère d’embauche, les femmes y ont un accès plus restreint que les hommes. Seules 80 % des femmes en zone rurale sont détentrices du permis B contre 90 % des hommes.

Si les transports en commun, dont deux tiers des passagers sont des femmes, peuvent apparaître comme une solution, la desserte en transports publics réguliers est cependant limitée en zone rurale et peu adaptée aux spécificités des habitudes de déplacement des femmes (enchaînements de trajets, besoin de place et de sièges enfants, etc.).

L’éloignement des services publics renforce l’isolement des femmes rurales et entraîne une mauvaise connaissance de leurs droits et des phénomènes de non-recours aux droits. Elles ont un accès plus compliqué à l’emploi, aux services publics, aux soins, aux modes de garde, aux commerces, aux associations et aux loisirs pour les femmes et pour les enfants dont elles assurent les trajets. Elles sont aussi à l’origine d’un isolement plus grand, phénomène renforcé au cours de la crise sanitaire, et entravent la lutte contre les violences conjugales, en rendant plus complexes le déplacement en gendarmerie comme le départ du domicile.

Les difficultés d’accès à Internet accentuent cet isolement. En 2021, 15 % des territoires ruraux ne bénéficient pas encore d’une couverture 4G et 30 % des locaux de ces territoires ne sont pas connectés au très haut débit.

Par ailleurs, les services de garde d’enfants, et notamment les crèches collectives, moins onéreuses, sont en nombre insuffisant en zone rurale, conduisant de nombreuses femmes à renoncer à une activité professionnelle. Les familles rurales disposent en moyenne de 55 places en mode d’accueil formel (dont 8 en crèches) situées à moins de 15 minutes pour 100 enfants de moins de 3 ans, contre 64 places (dont 26 en crèches) en zone urbaine.

Jeunesse : opportunités limitées et orientations contraintes

Les jeunes filles qui restent en zone rurale ont un champ d’opportunités plus limité que le reste de leur classe d’âge dans tous les domaines. Elles poursuivent moins d’études, occupent davantage d’emplois précaires, travaillent essentiellement dans les secteurs du soin et de l’aide à la personne. Elles pratiquent aussi moins d’activités sportives, occupent les espaces intérieurs et sont invisibilisées dans les discours publics et sociaux.

La décision de partir ou de rester est centrale dans les choix d’orientation scolaire et universitaire, sur lesquels pèsent par ailleurs de nombreux autres freins : une offre de formation faible et peu diversifiée en milieu rural, conjuguée avec des opportunités professionnelles plus limitées ; un manque d’accompagnement dans certains choix d’orientation ;
des difficultés à quitter le territoire ; un manque de confiance en soi et un manque de confiance en l’avenir ; l’absence de références ou « rôles modèles » féminins.

Insertion professionnelle et emploi

Si les femmes des territoires ruraux sont moins touchées par le chômage que les femmes urbaines, elles le sont davantage que les hommes des territoires ruraux. En outre, elles sont plus souvent concernées par des emplois de moindre qualité, précaires ou à temps partiel. Elles bénéficient d’opportunités professionnelles plus limitées et moins diversifiées.

L’offre d’emploi est peu mixte dans les territoires ruraux :
• elle est nettement orientée vers les secteurs à dominante masculine (secteurs de la construction et de l’agriculture masculins à respectivement 90 et 70 %), qui représentent 36 % de l’offre d’emploi des communes rurales contre 21 % dans les communes urbaines ;
25 % des femmes travaillent dans les secteurs de la santé et du social (contre 11 % en ville), féminisés à plus de 75 % et où les emplois sont plus souvent précaires, faiblement rémunérés et/ou à horaires atypiques.

Ces caractéristiques spécifiques de l’emploi dans les territoires ruraux engendrent un risque accru de pauvreté pour les femmes de ces territoires, mais aussi de dépendance financière vis-à-vis de leur conjoint.

Zoom sur le métier d’agricultrice

25 % des chefs d’exploitation sont des femmes. Ce chiffre stagne depuis dix ans environ.

Le rapport se félicite de certaines avancées récentes : en matière de statut, avec une reconnaissance juridique accrue du travail des agricultrices et en particulier des conjointes d’agriculteurs, de formation, avec une progression du nombre de filles dans l’enseignement agricole, de moindre pénibilité physique et de droits sociaux (revalorisation des petites retraites agricoles, pleine application de la réforme du congé maternité).

Toutefois, plusieurs sujets d’attention demeurent : faiblesse des retraites plus particulièrement celles des « conjoints-collaborateurs », difficultés de recours au service de remplacement, articulation des temps de vie et place des femmes dans les instances représentatives de la profession agricole.

Le défi de l’accès aux soins

La délégation déplore que la santé des femmes ne soit pas considérée comme une priorité dans les territoires ruraux où la désertification médicale touche tout particulièrement les gynécologues. Les chiffres du rapport sont alarmants.

En moyenne, la France compte 2,6 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes en âge de consulter en France mais dans 77 départements sur 101, cette densité est inférieure à la moyenne nationale et encore plus inquiétant, 13 départements sont dépourvus de gynécologues. Il faut aussi rappeler que le nombre de maternités a été divisé par trois en 40 ans.

Ces difficultés d’accès aux soins conduisent parfois au renoncement, par certaines femmes en milieu rural, à un suivi gynécologique, pourtant primordial en matière de prévention, et à de faibles taux de dépistage des cancers féminins.

A contrario, la délégation salue le dynamisme du réseau des sages-femmes en milieu rural et du maillage territorial fort des pharmaciens qui pourraient combler certaines lacunes du maillage territorial des professionnels de santé.

Violences conjugales : la double peine des violences conjugales

Les victimes de violences intrafamiliales sont aussi nombreuses qu’en zone urbaine mais plus isolées, moins informées et moins protégée. La moitié des interventions de la Gendarmerie et près de la moitié des féminicides ont lieu dans les territoires ruraux. Pourtant, les femmes rurales ne représentent qu’un tiers de la population féminine nationale. Cela veut dire qu’il existe une prévalence des féminicides un peu plus élevée dans les milieux ruraux qu’en zone urbaine.

L’isolement social et géographique des femmes victimes rend leur identification et leur protection plus complexe. Manque de mobilité, d’anonymat et de confidentialité, méconnaissance de leurs droits et des dispositifs existants,
manque de structures d’hébergement adaptées,
autant de freins à l’appel à l’aide des victimes en zone rurale.

Elles restent en effet sous-représentées dans les sollicitations des dispositifs d’aide : 26 % des appels du 3919.

Engagement politique : un accès complexe aux responsabilités

Bien que les dispositions constitutionnelles et législatives adoptées depuis 1999 ont conduit à une nette féminisation des élus locaux, la proportion de femmes reste faible au sein des petites communes rurales, des intercommunalités et des exécutifs locaux.

Les femmes représentent entre 16 et 20 % des maires en zone rurale.

Toutes les recommandations de la délégation sont à retrouver ici.