La révision constitutionnelle dans l’impasse

L’Assemblée nationale a examiné en deuxième lecture le projet de loi constitutionnel qui propose d’inscrire dans la loi fondamentale la préservation de l’environnement. Elle a décidé de rejeter la version adoptée au Sénat, tout en proposant une nouvelle version. La nouvelle version du texte reprend le terme « garantit », mais substitue le terme « agit contre » au terme de « lutte contre », comme le recommandait le Conseil d’Etat. Je suis intervenu en séance, au nom des sénateurs centristes.

Tout ça pour cela! Et comme s’il s’agissait d’inscrire une phrase dans la Constitution pour préserver le climat ! Le débat sur la révision constitutionnelle est bizarre, intéresse peu et, en l’absence de tout dialogue entre les Assemblées n’aboutira pas.

De quoi s’agit’il ?

Le projet de loi constitutionnel, issu des propositions de la convention climat (les 150 citoyens tirés au sort),  vise à inscrire dans la Constitution le principe selon lequel la France « garantit la préservation de l’environnement et la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

En réalité tant la préservation de l’environnement que de la diversité biologique comme la lutte contre le dérèglement climatique sont déjà des objectifs constitutionnels. Ils figurent dans la Charte de l’environnement de 2004, elle-même intégrée au préambule de notre Constitution.

L’Assemblée nationale avait adopté le projet de loi sans modification et le Sénat en première lecture avait réécrit le texte en indiquant : « la France préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Trois idées à l’origine de la rédaction du Sénat

La première idée concerne l’incertitude béante quant aux conséquences de la notion de garantie par la Nation.

La seconde idée consiste à refuser une hiérarchie entre les normes constitutionnelles et la troisième repose sur la conception traditionnelle des droits de l’Homme depuis 1789, c’est-à-dire une définition des droits subjectifs (les droits de l’Homme) par opposition à des droits dits objectifs qui seraient  les droits de la nature.

Il n’y a eu aucun dialogue entre les deux Assemblées et le gouvernement ne semble pas avoir la volonté de faire aboutir une négociation. 

Philippe bonnecarrère

Ceci a conduit l’Assemblée nationale à rétablir le 22 juin la rédaction initiale de l’article unique du projet de loi constitutionnel. Ce 5 juillet le Sénat a retenu la rédaction suivante : « La France agit pour la préservation de l’environnement et la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Le débat sémantique sur « préserve, agit ou garantit » est d’un intérêt limité. L’enjeu essentiel concerne la fin de la phrase et la référence à la Charte. L’idée  au cœur de la Charte de l’environnement en son article 6 à savoir le développement durable est essentielle , c’est-à-dire une recherche d’équilibre entre la préservation de l’environnement, les droits économiques et les droits sociaux ou personnels c’est-à-dire l’exercice des libertés individuelles. 

L’application de la Charte de l’environnement n’a jamais posé problème et le Conseil Constitutionnel a pu à plusieurs reprises y faire référence en faveur de la protection de l’environnement.

Le seul reproche formulé à l’égard de la Charte de l’environnement est finalement idéologique au motif que la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ne devrait être soumise à aucun arbitrage et en particulier par rapport aux droits économiques ou aux libertés individuelles que je citais plus haut. Le Senat souhaite rester dans une conciliation entre objectifs constitutionnels.

Quelles suites ?

En l’état de cette absence de dialogue, je ne vois aucune issue au projet de révision constitutionnelle.

La décision prise par le Conseil d’État ce 1er juillet donnant 9 mois au gouvernement pour adopter des mesures afin d’atteindre l’objectif, issu de l’accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 montre assez bien les conséquences qui résulteraient du terme « garantit » . Plutôt  que de s’émouvoir contre la juridictionnalisation de plus en plus marquée de notre société, il convient peut-être de se poser la question des engagements pris par notre pays soit sur le plan interne, soit dans des accords internationaux.

Les tribunaux vont de plus en plus rappeler à l’exécutif que les engagements pris doivent être tenus, là où notre pays a la mauvaise habitude de ne pas les tenir. Reste dans l’esprit des gouvernements que les engagements sont des messages, des indications, des affirmations mais que l’on verra plus tard …

Toutes ces discussions sont assez éloignées d’une logique d’efficacité et illustrent l’idée que la politique serait d’abord fondée sur la communication, sur le fait de cocher des cases, sur des éléments de langage, sur une incantation. C’est probablement ce qui a conduit nos concitoyens à s’abstenir massivement au deuxième tour des élections départementales et régionales. A la réflexion, l’échec de la révision constitutionnelle est plutôt une bonne chose.