La bombe à retardement du Conseil constitutionnel passée inaperçue…

Dans une décision du 28 mai, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a introduit l’idée qu’une ordonnance pourrait avoir force de loi bien qu’elle n’ait pas respecté le délai d’habilitation.

Cette décision inédite pourrait être lourde de conséquences. Au-delà du débat qu’elle engendre entre constitutionnalistes, elle permettrait à l’exécutif d’enjamber le Parlement et déposséderait ce dernier de son rôle de contrôle.

Cette décision émet l’idée qu’une ordonnance qui n’a pas été ratifiée par le Parlement pourrait avoir rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation, à la seule condition que le projet de loi de ratification de l’ordonnance ait été déposé dans le temps imparti
.

En d’autres termes, selon le Conseil constitutionnel, passé leur date limite, les ordonnances « doivent être regardées comme des dispositions législatives » à part entière.

Un bouleversement majeur

De nombreux juristes qualifient cette décision de « bombe à retardement avec de nombreux enjeux ».

Les ordonnances sont consacrées par l’article 38 de la Constitution qui dispose que « le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. »

Une ordonnance permet donc à l’exécutif de se soustraire à l’examen du Parlement et d’intervenir de manière limitée, un temps donné, et à la condition d’obtenir son autorisation au préalable, dans le domaine législatif. Cette « autorisation », est une habilitation. Mais, les ordonnances doivent être ratifiées par le Parlement dans un délai fixé au moment de l’habilitation.

Selon la Constitution, passé ce délai, « les ordonnances deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. » Et pour justement éviter tout risque de « ratification implicite », la révision constitutionnelle de 2008 a permis d’ajouter dans l’article 38, que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. »

« Un affaissement des prérogatives du Parlement »

Le Conseil constitutionnel déduit, quant à lui, que, passé l’expiration du délai d’habilitation, les dispositions contenues dans l’ordonnance « doivent être considérées comme des dispositions législatives ».

Selon Julien Padovani, enseignant-chercheur en droit public à l’Université d’Aix-Marseille et auteur d’un article très fouillé sur le sujet « le Conseil constitutionnel vient de dire que si le Parlement ne ratifie pas expressément l’ordonnance, ne lui donne pas le sceau de la légalité, elle devient quand même une loi et ce, même après le délai d’habilitation. Ce serait un affaissement considérable des prérogatives du Parlement »

Ratification ou non, les ordonnances deviendraient automatiquement loi.

Tout ceci bouleverse donc l’équilibre entre le pourvoir exécutif et le pouvoir législatif et dépossèderait en quelque sorte le Parlement de son pouvoir de contrôle.

Si demain, les ordonnances ont une valeur législative, dès l’habilitation donnée au gouvernement, la tentation sera grande pour l’exécutif de recourir aux ordonnances.

A titre de rappel, depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement a promulgué 57 ordonnances, auxquelles vont s’ajouter les 10 nouvelles du projet de loi dit « DDU » (qui en contenait 40 à l’origine!) …