Attaque à la préfecture de police : le Sénat auditionne le gouvernement

Suite à l’attaque intervenue le 3 octobre à la Préfecture de Police de Paris, la délégation parlementaire au renseignement  et la Commission des Lois du Sénat ont entendu le ministre de l’intérieur, M. Christophe Castaner et le secrétaire d’État, M. Laurent Nunez.
Les ministres sont revenus sur les failles qui ont permis cette attaque, sur la détection de cas de radicalisation dans les services régaliens. Ils ont aussi répondu aux questions des sénateurs concernant la clé USB de l’assaillant ou encore son entourage.

« Cette attaque est en soi une défaillance grave »

C’est ce qu’a affirmé Christophe Castaner pour qualifier l’attaque. «Nous devons l’examiner avec le plus grand sérieux pour comprendre comment un homme a pu se radicaliser au sein même des services du renseignement, sans que les bonnes décisions aient été prises. »
Bien que le Ministre a rappelé que 59 attentats ont été déjoués depuis 2013, il a reconnu que «
Il n’y a pas de dispositif efficace en 2013 qui pourrait ne pas être revu 2015, 2017, 2019. […] Cet état de fait nous appelle à la modestie. »

Des signes de radicalisation dès 2015, malgré une habilitation au secret-défense

Réformée en 2011, les durées d’habilitation au secret-défense ont été rallongées : 10 ans pour le confidentiel-défense, 7 ans pour le secret-défense et 5 ans pour le très secret-défense.

Répondant à la question d’un parlementaire sur la réduction de ces durées ou la mise en place d’enquêtes aléatoires, le ministre a annoncé : « Nous travaillons à la révision globale du système d’habilitation et du référentiel qui pourrait être différent dans la triple habilitation et la durée ». Sur la question des « enquêtes aléatoires, pourquoi pas. C’est un vrai sujet » qui peut « permettre de mettre une pression collective sur l’ensemble du dispositif ».  Et « il peut y avoir, à tout moment, en fonction d’indicateurs », le déclenchement de « nouvelle vérification ».

Pour le cas de Mickaël Harpon, l’auteur des faits, en 2013, lors du renouvellement de son habilitation, « aucun signe » n’a été détecté. Puis quand des signes « apparaissent, en 2015 », ces « signes de radicalisation n’ont pas été interprétés au bon niveau et n’ont pas fait l’objet de signalement nécessaire » rappelle le locataire de la Place Beauvau.

Le ministre de l’Intérieur appelle « les forces de police à être elles-mêmes acteurs du signalement » et à repérer les signes qui peuvent être liés à une radicalisation. « Dans ces signes, il y a le port de la barbe, le refus de serrer la main à une collègue féminine, le fait de présenter une hyperkératose au milieu du front, c’est la Tabaâ, le prosélytisme religieux intempestif, la consultation frénétique de site religieux depuis le poste de travail, la fréquentation de personnes radicalisées, le port d’un voile intégral sur la voie publique pour un fonctionnaire féminin. Ce sont des éléments qui, par analyse, peuvent caractériser la radicalisation » a expliqué Christophe Castaner.

« Rien n’indique qu’il y ait une organisation collective autour de l’assaillant »

Répondant à une question sur la clé USB de l’assaillant, le ministre a déclaré : « Pour l’instant, il n’y a pas d’inquiétude outre mesure, surtout que rien n’est établi à l’heure où je vous parle, sur le fait qu’il y ait une organisation collective autour de l’assaillant« .
« Sur le contenu de la clé USB, d’abord nous sommes dans le cadre du secret de l’enquête, et ensuite je rappelle la responsabilité de ceux qui propagent de fausses rumeurs ».
Les services de police restent toutefois vigilants sur la protection de cibles éventuelles.

Renforcement des contrôles et des mesures de prévention

Laurent Nunez a en outre précisé que les contrôles à l’embauche des agents de police et de gendarmerie vont être renforcés. Ces contrôles sont d’ores et déjà réalisés par le SNEAS (Service national des enquêtes administratives de sécurité). 
« Nous travaillons à la mise en œuvre de mesures, dont l’extension des criblages […], de rétrocriblages : une possibilité une fois recruté, lorsqu’il y a un doute, de reprocéder à un criblage. La SNEAS a accès à l’ensemble des fichiers qui nous permettent de détecter des anomalies ».
Laurent Nunez a annoncé également une hausse des personnels chargés de la détection de comportements radicaux, qui passerait d’une trentaine d’agents à 67.
Autre mesure de prévention dans les services des forces de l’ordre, l’inspection des services de renseignement va être chargée de vérifier « service par service » comment remontent les signalements faits sur des comportements suspicieux. « Il faut absolument former le personnel à la nécessité d’un signalement, qu’il soit oral ou écrit » a précisé Laurent Nunez.
Sur la question du retro-criblage, prévu par la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, le président Philippe Bas s’est interrogé sur la mise en œuvre tardive de ce dispositif censé être entré en vigueur en 2017.

« C’est un dispositif qui permet de re-cribler des agents qui sont dans des services régaliens de manière à détecter une anomalie parce qu’on aura observé un comportement de cette personne qui laisse planer un doute entre ce comportement et l’exercice de sa mission » a d’abord rappelé Laurent Nunez.
Les mesures « qui permettent d’écarter l’agent en dehors du contexte disciplinaire que nous utilisons actuellement » nécessite la mise ne place d’une commission qui émet un avis. Or, cette commission n’a pas encore été mise en place mais est « imminente » a indiqué Laurent Nunez.

Christophe Castaner évoque enfin l’existence d’une « quarantaine de cas signalés dans la police nationale ». 

« 6 révocations ont été engagées. Il en reste 19 qui ont fait l’objet d’un signalement mais dont les autorités ont considéré qu’il n’était pas caractéristique d’une radicalisation. Sur les 19 identifiés, nous avons pratiqué des mutations et même des mutations hors périmètre de la police «  défend le ministre.

 

Imam de Gonesse : « J’avais demandé qu’il soit signalé »

C’est que révèle la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio qui présidait la commission des titres de séjour devant laquelle il est passé. La fin de l’audition a en effet donné suite à des éclaircissements la personnalité de Hassan El-Houari, l’un des imams de la mosquée Fauconnière à Garges-lès-Gonesse dans le Val-d’Oise que fréquentait assidûment Mickael Harpon.

Le ministre de l’Intérieur a tout d’abord indiqué que cette personne, de nationalité marocaine, était arrivée en France en 2011 avec un visa de long séjour valable jusqu’au 22 septembre 2012. Après s’être marié, son titre a été renouvelé jusqu’au 22 octobre 2013. « Il y a eu une rupture de la vie commune et à un moment, il y a eu une OQTF (obligation de quitter le territoire français) parce qu’il n’assumait plus ses responsabilités vis-à-vis d’un enfant (…) Mais il a repris ses responsabilités et l’OQTF a été suspendue en 2015 » a expliqué le ministre.

Un nouveau titre de séjour lui a été accordé jusqu’en décembre 2017 puis en 2018 après s’être remarié avec la naissance d’un nouvel enfant. C’est à ce moment-là qu’est intervenue la commission des titres de séjour du Val-d’Oise, présidée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, présente à l’audition du ministre. L’imam a subi un long entretien lors de la séance du 14 juin 2019 par cette commission avant de se voir attribuer un titre de séjour d’un an.Par la suite, Jacqueline Eustache-Brinio est revenue sur son rôle dans l’attribution de ce titre de séjour.

« Je me rappelle très très bien de l’échange que j’ai eu avec cet imam (…) nous n’avions pas d’autres solutions que de lui délivrer un titre puisqu’il était père d’enfant français donc il l’avait de droit. Il n’était même pas obligé de passer devant la commission des titres de séjour. Il est passé devant la commission des titres de séjour parce que je pense que le secrétaire général de préfecture s’interrogeait sur la personnalité de cet imam ».
La sénatrice se rappelle « avoir été extrêmement interpellée par ses propos ». « Mes questions avec ce type de personnage vont très loin «. « Et à la fin de cette commission, j’avais demandé à ce qu’il soit signalé » (…) Mais qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre ? C’est toute la limite de notre système ».