Jeudi 11 juillet 2019 – J-113

1. La campagne pour la direction du Parti conservateur : Johnson éclipse Hunt

Boris Johnson, qui reste le favori avec une très bonne longueur d’avance, poursuit une campagne qui repose essentiellement sur son charisme et ses audaces. Le principal message qui le différencie de son rival Jeremy Hunt tient à sa promesse de sortir de l’UE le 31 octobre prochain, coûte que coûte (« do or die »). Boris Johnson a musclé son équipe de campagne en nommant à sa tête Ian Duncan Smith, avocat de la sortie de l’UE depuis presque trente ans. Il semble que la majorité des adhérents du Parti conservateur souhaite une sortie de l’UE même brutale, au rebours des positions plus nuancées de Jeremy Hunt, qui se résoudrait lui aussi à une sortie sans accord, mais seulement faute de mieux.
Pour Boris Johnson, le Parti conservateur est le parti de la sortie de l’UE et le Brexit doit être mis en œuvre, ne serait-ce que pour arrêter dans son élan le parti de Nigel Farage (le « Brexit Party ») qui a remporté les élections européennes. Boris Johnson a une priorité politique : ressouder d’abord son parti en donnant satisfaction à ceux, majoritaires, qui veulent la sortie de l’Union. Son programme conservateur affirmé contraste avec les positions plus modérées de Theresa May. Il ne désespère pas de parvenir à « toiletter » l’Accord de retrait, ainsi que la Déclaration politique, malgré le refus constant de l’Union européenne de rouvrir les discussions sur le premier. Enfin, il se fait fort de convaincre le Parlement britannique de voter l’accord ainsi « recalibré », et de proposer une loi de finances comportant
d’importantes baisses d’impôts et une politique de l’offre ambitieuse (baisse de l’impôt sur le revenu, modification des taux de TVA voire remplacement de cette taxe par un impôt sur la vente comme aux États-Unis, zones et ports francs) et de provoquer des élections anticipées.
C’est dans ce contexte qu’est née la polémique concernant l’article XXIV du GATT qui autorise les unions douanières régionales, par dérogation au principe de non discrimination défini à l’article Ier. Boris Johnson a maintenu qu’il pouvait se prévaloir de cet article qui aurait permis de ne pas mettre en place de droits de douane pendant toute la période de négociation d’un nouvel accord commercial avec l’UE. Les juristes soutiennent que l’article 24 ne s’applique pas à la situation présente et, surtout, que l’accord des deux parties est nécessaire pour maintenir le statu quo ; or, il est vraisemblable que même si l’article 24 était applicable en l’espèce, l’Union européenne s’y opposerait.
Une autre polémique a éclaté lorsque Boris Johnson a insinué qu’il ne consulterait pas le Parlement sur une sortie sans accord. Effectivement, ce serait une façon de trancher le nœud gordien que de sortir de l’UE sans l’aval du Parlement, au moment de l’intersession parlementaire. La tradition constitutionnelle britannique ne s’y oppose pas même si ce scénario parait difficilement réalisable au plan politique.
Enfin, une dernière polémique s’est fait jour quand Boris Johnson a évoqué la possibilité pour le Royaume Uni d’être délié de sa « dette » à l’égard de l’UE en cas de sortie sans accord.
L’UE l’a aussitôt mis en garde contre le risque de voir les autorités britanniques « faire défaut » sur leurs engagements.

À ce stade, il est difficile de faire la distinction entre ce qui relève de la campagne électorale et ce qui serait réellement mis en œuvre.
Jeremy Hunt a quant à lui précisé ses intentions pour une sortie sans accord en cas d’échec des négociations avec l’UE :
– M. Hunt publiera son plan détaillé pour le Brexit à la fin du mois d’août et le mettra au vote du Parlement début septembre pour démontrer qu’il dispose d’une majorité ;

– il décidera le 30 septembre si un accord est possible avec l’UE ; si non, M. Hunt stoppera toute discussion avec l’UE après le 30 septembre et focalisera l’attention du gouvernement sur la préparation à une sortie sans accord ;
– il mettra en place un plan de soutien à l’économie de 20 Md £ en cas d’une sortie sans accord – ce plan vise à limiter les effets d’un no deal et à renforcer l’attractivité économique du Royaume-Uni, prévoit notamment une baisse de l’impôt sur les sociétés de 19 % à 12,5 %. Cet allégement de la fiscalité des entreprises, dont le coût budgétaire est estimé à 13 Md £, sera complété par la mise en place d’un soutien financier aux secteurs agricole et halieutique pour un montant de 6 Md £.

2. Le Parlement britannique n’est plus, pour l’instant, au centre du jeu

Depuis plusieurs semaines, les députés modérés et plutôt pro-remain des deux grands partis cherchent sans succès, mais par tous les moyens, à faire voter une motion, ou un article de loi qui rendrait difficile, voire impossible, une sortie sans accord. Le 1er juillet dernier a sonné une fois pour toutes le glas de leurs espoirs. En effet, le Conservateur pro-remain Dominic Grieve et la Travailliste Margaret Beckett ont déposé un amendement qui aurait privé de leurs crédits certains ministères dans le cas d’une sortie sans accord, sauf à redemander expressément ces crédits au Parlement. Le Président de la Chambre des Communes, pourtant perçu par de nombreux observateurs comme pro-remain, a refusé que l’amendement puisse être défendu comme le lui permettent ses prérogatives.
Toutefois, la majorité au Parlement (qui s’est exprimée contre une sortie sans accord) n’a pas changé : à défaut de nouvelles élections législatives, Boris Johnson devra s’accommoder du même « Parlement » que Theresa May, à moins de recourir à une nouvelle élection anticipée qui apparaît politiquement risquée pour l’instant.

3. Le Parti travailliste à la recherche de sa ligne politique

Au sein du parti travailliste, John Mac Donnell (pro-remain), Chancelier du « shadow cabinet », continue de souhaiter que le Parti travailliste soutienne le projet d’un nouveau referendum sur le Brexit, position revendiquée également plus ouvertement par les Libéraux Démocrates, avec à la clé le souhait d’une révocation de l’article 50. Toutefois, le leader travailliste Jeremy Corbyn n’a rien fait pour soutenir les amendements qui visaient à rendre impossible une sortie sans accord.
Dans ce contexte, certains observateurs estiment que le parti travailliste souhaite la tenue d’élections anticipées, qu’il pense pouvoir gagner.
Les sondages placent les Conservateurs de nouveau en tête, mais leur avance n’est pas suffisante pour rendre l’issue d’éventuelles élections certaine et on assiste pour l’instant à un éclatement de l’électorat entre quatre forces de poids quasi égal au lieu de deux, si bien que le bipartisme, traditionnel fruit du scrutin uninominal à un tour, est de nouveau déstabilisé :
actuellement, dans le cas d’une élection anticipée, le Parti conservateur est crédité de 24 % des voix, le Parti du Brexit de 23 %, les Libéraux-démocrates de 20 % et les Travaillistes de 18 %.
Cette répartition ne saurait donner d’indication certaine sur la répartition des sièges au Parlement, car le mode de scrutin à un tour rend toute projection particulièrement aléatoire.

4. Le coût d’un « hard Brexit » refait surface

La question du coût économique d’une sortie sans accord anime les débats outre-manche et le secteur le plus menacé semble être le secteur automobile. En effet, le rétablissement des contrôles douaniers aux frontières entraînerait des retards de livraison considérables. Les professionnels chiffrent à 70 millions de livres par jour les pertes que pourrait enregistrer le secteur automobile britannique, tant celui-ci est dépendant du marché européen.

52,6 % de la production automobile britannique sont exportés vers l’Union européenne. Cette industrie intégrée au plan européen s’est construite sur la liberté de circulation. PSA a, de son côté, annoncé qu’il ne construirait pas sa nouvelle voiture (Astra) au Royaume-Uni si celui-ci sortait sans accord.

5. La Commission des affaires européennes de la Chambre des Lords se projette dans l’après Brexit et mise sur la nécessité d’une politique d’influence

Anticipant sur la sortie de l’Union européenne, la Commission des affaires européennes de la Chambre des Lords a publié un rapport remarqué intitulé « Au-delà du Brexit : comment se faire des amis et conserver son influence ? »

La sortie de l’Union européenne risque de faire perdreau Royaume-Uni l’influence qu’il exerçait jusqu’à  présent à travers son appartenance aux institutions européennes, à ses agences et à tout un maillage para-gouvernemental où les représentants britanniques tenaient une place plus importante que celle imputable à leur seul nombre.

La Commission des affaires européennes souligne la nécessité pour le Royaume Uni de rester présent dans toutes les instances où cela est possible et en particulier dans les futures instances mixtes qui traiteront des relations avec l’Irlande, Chypre et Gibraltar. Le rapport exhorte le Gouvernement à nommer un négociateur en chef pour les négociations à venir.

Il attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de rester représenté dans les agences européennes au titre de la future coopération qu’il sera nécessaire de conserver avec elles.
Enfin le rapport salue la perspective assurée d’un maintien de la coopération pour le G7, l’OTAN, les Nations Unies et l’ensemble des tribunes internationales où le Royaume-Uni doit faire entendre sa voix.
À ce propos, le rapport rappelle que la sortie de l’Union européenne n’entraîne pas la fin de la représentation britannique à Bruxelles et encore moins la diminution de ses effectifs. Il lui est demandé d’élaborer une nouvelle stratégie pour rester parfaitement informée alors qu’elle n’aura plus accès aux instances où les décisions se prennent. .
L’idée générale du rapport repose sur le rappel qu’une sortie de l’Union européenne n’éloigne pas, sur le plan diplomatique, le Royaume-Uni de l’Union, mais le contraint au contraire à renforcer ses liens diplomatiques et sa politique d’influence.

PROCHAINES ÉTAPES

– 25 juillet : intervention du nouveau Premier ministre à la Chambre des Communes
– 25 juillet : début des vacances parlementaires
– 31 octobre : date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne avec ou sans accord ;
– 31 décembre 2020 : en cas d’adoption de l’accord de retrait, fin de la période de transition
(possibilité de prorogation de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2022).

En savoir plus sur Philippe Bonnecarrère, Député du Tarn

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